• Des migrants bien dérangeants

    Des migrants bien dérangeants

    DES MIGRANTS BIEN DÉRANGEANTS !

     

    Depuis plus d’une semaine, une petite centaine de migrants campe dans des conditions précaires à la frontière italienne prés de Vintimille.

    Ils viennent du Soudan, d’Erythrée, du Darfour, de Syrie.

    Arrivés par bateau en Italie, après un voyage éprouvant où ils ont craint pour leur vie, ils veulent pour la plupart simplement traverser la France, pour gagner d’autres pays d’Europe.

    Mais ils ne le peuvent pas. Les gendarmes et la police française sont là, qui les en empêchent impitoyablement, et les ramènent à leur point de départ italien quand ils essayent de passer en France par train. Tous les trains sont fouillés tous les jours.

    Ils ont payé leur billet, parfois cher (107 euros jusqu’à Paris, 7 euros jusqu’à Nice).Ils ne sont pas contrevenants. Par ailleurs, la libre circulation entre les pays d’Europe existe. Non, leur seul crime est d’être en situation « irrégulière ».

    Une véritable traque aux migrants, une chasse à l’être humain honteuse, sévit en PACA, nous en sommes témoins.

    Sur place, sur les rochers à la frontière, la situation est difficile. Il y a là des hommes, et quelques couples, dont une femme enceinte, signalait un médecin bénévole.

    Les femmes et les enfants étaient regroupés jusqu’il y a quelques jours en gare de Vintimille, dans deux ailes inoccupées du bâtiment. Faute de point d’eau, la situation sanitaire n’est pas brillante, malgré tous les efforts louables de médecins italiens, de bénévoles, et de la population italienne, qui aide particulièrement les enfants.

    Sur les rochers, des particuliers et des associations ont apporté peu à peu des parasols, des couvertures, des matelas ; et distribuent eau et nourriture. Il n’existe que trois WC chimiques pour tout ce monde, et les réfugiés sont contraints de se laver dans l’eau de mer.

    Dénonçant une « urgence humaine », ils ne désarment pas.  Ils ne comprennent pas cette hostilité. La France est un des pays européens qui a accueilli le moins de réfugiés.

    Alors que 57 000 sont arrivés en Italie depuis janvier.

    Le Ramadan a commencé, et, malgré leur fatigue, ceux qui sont musulmans jeûnent dans la journée.

    C’est à nos portes, ici « près de chez nous », ce n’est pas un énième camp de transit vu à la télévision, les pieds dans ses pantoufles.

    Si une manifestation de soutien a eu lieu récemment, elle n’a réuni en France qu’une centaine de personne environ, peut être faute de bonne diffusion de l’information. Et en Italie, un millier.

    Ce que les migrants et les ONG demandent est simple : l’ouverture de l’Europe, et un débat public sur ce problème ; un partage numériquement équitable des migrants dans des conditions dignes et humaines.

    Mais il nous faut bien regarder les choses en face : une majorité de français de la région détournent le regard ; et plus grave, c’est le cas de beaucoup de chrétiens !

    Malgré un appel vibrant de l’évêque de Nice, qui clamait ce 18 Juin : « la dignité des personnes ne se marchande pas », et invite les catholiques à un effort particulier de dons de produits alimentaires et d’hygiène(gérés par le Secours Catholique), estimant que leur place est là, au secours de ces naufragés, les églises ne semblent pas retentir d’homélies et d’interventions vigoureuses, entraînant les paroissiens à aller à la rencontre de leurs frères , pourtant si proches…

    Nous n’avons pas entendu d’exhortations, d’appels à aller manifester ; nul car n’a été affrété pour permettre aux paroissiens éloignés de se rendre manifester sur les lieux, comme dans les récentes manifestations contre le mariage pour les personnes de même sexe.

    Le clergé aurait-il mis moins de zèle à relayer ces propos que la fameuse « prière du 15 Août » de Mgr Vingt Trois en 2013, contre le vote de la loi ?

    Pour être objectives, notons que les mouvements LGBT sont également très discrets…

    « Leur présence (celle des migrants) demande sûrement de nous déranger ! » dit encore Mgr Marceau dans son appel.

    L’évêque a raison.  Est-ce que les catholiques ne veulent pas être « dérangés » dans leur ronron dominical ? Aucune allusion à ce problème, qui pourtant s’étale aux yeux de tous, lors des communions solennelles de la semaine passée…Quel appel stimulant à la foi ce serait pour des communiants, que de leur montrer que la foi n’est pas faite de prières abstraites, mais du souci premier du prochain ! Il semble qu’à Nice, des scouts se soient mobilisés…tant mieux !

    Respectueusement interpellé à la sortie de la messe, un prêtre, visiblement gêné, nous a renvoyés sur le Secours Catholique.

    Le résultat de cette valse-hésitation ne s’est pas fait attendre : des non croyants militants font observer que l’indignation des catholiques est à géométrie variable ; et qu’ils semblent plus se soucier de qui le voisin a dans son lit, que de ce qu’il a, ou pas, dans son assiette, et de ses libertés fondamentales…

    Voici deux jours, le Pape François a lui aussi donné de la voix, et appelé l’Europe à : « ne pas traiter les migrants comme des marchandises ».

    En attendant, les migrants prient comme ils peuvent sur des serviettes de bain…..

     

    Michelle. C .DROUAULT

     

    * Dans un rapport circonstancié, l’ONU vient d’établir qu’elle suspecte l’Erythrée de crimes contre l’humanité . Il n’est donc pas surprenant que l’on cherche à fuir ce pays à n’importe quel prix….

     

    http://france3-regions.francetvinfo.fr/cote-d-azur/2015/06/19/l-eveque-de-nice-et-la-situation-des-migrants-ne-peut-se-satisfaire-de-parquer-des-humains-751953.html

     

    http://www.paris.catholique.fr/declaration-du-conseil-permanent.html

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Lundi 6 Juillet 2015 à 20:14

     « … car vous avez été étrangers dans le pays d'Egypte ».

    Merci pour ce beau texte, pour cette forte réaction qui revigore des consciences outragées et pas loin d’être découragées ! Et qui en appelle aux vraies responsabilités. La charité évangélique empêche seule qu’on ajoute qu’elle cible fort justement quelques sépulcres blanchis (pour autant qu’on doive réserver au Fils de l’homme ce ciblage bien senti …).

    L’accueil de l’étranger, l’hospitalité accordée à l’autre, à l’exilé, à quiconque se présente en état de faiblesse ou d’exclusion, ont été valorisés par un si grand nombre, par une si grande diversité de spiritualités, de civilisations et de sociétés à travers les temps, qu’on peut les tenir pour partie prenante à une anthropologie morale valant éthique universelle.

    Pour notre monde spirituel et pour notre référentiel de valeurs, la genèse de cette anthropologie se tient dans la Bible hébraïque qui multiplie les injonctions déclinées sur un même rappel : « vous aimerez l'étranger, car vous avez été étrangers dans le pays d'Egypte ». (Deutéronome). L’Exode, le Lévitique, Isaïe et Ézéchiel sont de la partie, chaque variation sur ce thème ouvrant sur une dimension supplémentaire de l’accueil de l’étranger au regard du projet de la transcendance : ainsi l'arrivée de l'Étranger sera-t-elle signe de salut, ainsi les étrangers nous précèdent-ils dans la foi, ainsi Dieu se sert-il d'eux pour sauver son propre peuple- « des étrangers relèveront tes remparts » -, ainsi encore accueillir l'autre, est-ce accueillir Dieu ou ses anges … Jusqu’à la Genèse qui désigne la faute majeure de Sodome en ce qu’elle refusa l'accueil de l'étranger et exploita sa faiblesse. Sans compter que la Torah et les prophètes en rajoutent dans la provocation - si on les rapproche dans un anachronisme délibéré du rejet apeuré ou frénétique dont l’étranger est actuellement l’objet - et selon une graduation de sommations en forme de chiffons rouges, et d’un rouge de plus en plus accentué, en fixant le principe qu’« il y aura une seule loi, une seule règle pour vous et pour l'émigré qui réside chez vous », assorti d’une obligation aussi inconcevable que « vous traiterez l'étranger en séjour parmi vous comme un indigène du milieu de vous » et de son corollaire « ils partageront au sort l'héritage avec vous » (*).

    Certes la Bible ne parle pas d’une seule voix en la matière - comment pourrait-il en aller autrement alors qu’elle est de rédaction humaine et qu’elle forme une oeuvre composite, élaborée de surcroît sur une longue étendue de temps ? Mais la spiritualité juive, son alliance intime à l’esprit des Ecritures, ne résident pas dans des énonciations telles que « Héberge l'étranger et il te jettera dans les tracas, il t'aliénera les tiens » qui se donnent à lire comme contingentes et circonstancielles et ainsi venues à l’esprit de leurs rédacteurs ; elle ne se reconnaît pas dans les textes (y compris de la plume de certain de ses plus grand rabbins) qui au fil des siècles ont honni et stigmatisé l’étranger, et jusqu’aux convertis - la part étant faite, dans leur conception du long enfermement des communautés juives d’Europe dans l’espace menaçant d’une religion chrétienne ultra majoritaire, dominatrice et hostile, et au milieu de populations pénétrées du pieux motifs qui enjoignait de les persécuter.

    La puissance prescriptrice ne saurait revenir qu’aux injonctions à l’accueil et au partage portées par la répétition de la référence au séjour mythique en Egypte du peuple de l’élection qui en appelle à la symbolique de l’exil et à l’allégorie ou à la métaphore d’une servitude jadis éprouvée. - exil auquel l’Alliance a mis un terme et servitude attachée à la non connaissance de D.ieu. Injonctions qui s’étendent aussi sur un plan bien plus large : celui de la vocation assignée aux peuples des deux Alliances d’ouvrir celles-ci à toute l’humanité.

    L’Evangile est venu acter que l’accueil de l’étranger participe de ce qui  forme l’essence du judaïsme, de sa pensée et de son éthique : une fois encore, c’est bien d’abord en tant que rabbi juif, et dans sa pleine maîtrise de la lettre et de l’esprit de la Loi, que Jésus s’exprime quand il met exactement sur le même plan, à un niveau identique d’obligation, le devoir de secourir ceux qui ont faim et soif et celui de protéger l’immigré - celui de son temps et de ceux à venir : « … j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli ».

    A cette intimation adressée à qui veut suivre l’enseignement du Messie en mettant ses pas dans ceux que la première Alliance et ses commandements ont tracés au peuple de la Bible, à cette éthique universelle dans laquelle s’inscrit cette intimation, qui ou quoi fait donc si irréductiblement obstacle ?

    On fera en réponse sa part au Mal-présent-au-monde et à son mystère. Le moyen, en effet, de ne pas deviner sa présence …

    Mais à l’échelle de l’entendement humain, et pour ce qui fait notre actualité, comment ne pas désigner la pénétration massive et irrésistible des affirmations identitaires - irrésistible à l’image de la progression des hordes barbares jadis redoutées des civilisations ?

    Cette pénétration a trouvé sa dynamique dans l’attraction dont bénéficient les thématiques de cet ordre dans les contextes de dégradation du contrat social : il suffit alors à leurs propagandistes de mettre en avant la somme nécessaire d’allégations sans fondement, de préjugés, de contre-vérités, de simplifications grossières, de détournements et de falsifications des faits, pour bâtir l’argumentaire transformant en force politique, et en suffrages, un ressenti composé de frustrations individuelles, de peurs et de hantises collectives et de tensions sociales devenues insupportables.

    Une addition, une juxtaposition et une articulation historique de motifs - presque toujours tirés d’un imaginaire et travestis en raisons prétendument probantes - viennent cimenter le renfermement d’un groupe humain sur lui-même et crédibiliser à ses propres yeux l’allégation de son irréductible différenciation. Une différenciation qui invoquera une identité collective, des racines ancrées dans un passé commun décrit par un roman national, la pureté du sang et autres détournements métaphoriques destinés à grossir et à radicaliser, par opposition, la menace censée viser le groupe en cause.

    Peut-être aussi peut-on avancer l’hypothèse selon laquelle derrière ces motifs et soutenant l’inventivité inépuisable de leurs concepteurs, agit un facteur non directement politique ou idéologique. A savoir que le ciblage de ce qui est ‘’autre’’ ou ‘’différent’’, qui est la genèse de toute revendication identitaire, fait d’autant plus facilement des convaincus, et des convaincus puissamment motivés, qu’il est probablement associé, dans les processus du fonctionnement mental, à une activation de multiples connexions ancrées dans notre cerveau archaïque.

    Une activation de circuits identifiant cet ‘’autre’’ ou ce ‘’différent’’ à un risque ou à un danger, et dont l’existence a très vraisemblablement beaucoup et longtemps contribué à la survie de l’espèce humaine, comme elle contribue au reste à celle des autres espèces vivantes. Il n’était à coup sûr pas inutile pour nos lointains ancêtres de se représenter un tigre, un ours ou un serpent comme une menace vitale, ou un groupe de chasseurs inconnus pénétrant sur leur territoire comme animé d’intentions a priori suspectes sinon certainement agressives … Il n’est cependant pas déraisonnable - c’est le moins qu’on puisse dire … - de considérer que des conditionnements nécessaires à l’origine de l’humanité et pendant une longue durée - leur conservation a sans doute été encore primordiale aux temps des populations clairsemées et isolées d’éleveurs ou de cultivateurs - n’ont plus aujourd’hui autant de raison d’être ; et parfaitement déraisonnable en tout cas d’agir comme si leur vocation originelle trouvait à s’exprimer à l’encontre d’exilés de la misère et du pas-d’autre-choix-que-de-partir venus du Sahel, de réfugiés kurdes ou afghans, de rescapés de la guerre civile en Syrie ou en Somalie, ou de victimes fuyant la dictature totalitaire d'Érythrée ou tout bonnement la mort en Libye ou à Gaza …

    Avancer cette hypothèse qui interroge la paléontologie, c’est envisager l’accueil des migrants sous l’angle d’un enjeu fondamental pour nous toutes et nous tous frères humains : ce qui se teste en effet sur cet accueil est rien moins que la capacité des créatures humaines à se former une conscience morale qui les libère des déterminismes biologiques - ou économiques - comme des représentations créées par des terreurs et des phobies primitives et de la pesanteur des archaïsmes comportementaux qui sont corrélés à ces représentations. Et il y a quelque raison de penser que la confrontation entre des créatures douées de raison (et probablement des grâces qui rendent celle-ci agissante), et par conséquent à même de concevoir une vision éthique, et la perception qui s’est imprimée en elles de la dangerosité intrinsèque de leur milieu et de la vulnérabilité inhérente à leur condition, une confrontation activée depuis l’origine de notre espèce, est constitutive de l’émergence du concept d’humanité en ce que s’y décide, pour les individus comme pour les sociétés, la formation d’une pensée et de codes de conduite où la notion du bien l’emporte sur la tyrannie obscure de la peur.

    En proposant cette mise en perspective, on trace quelques directions au combat d’idées qui est à mener contre les assertions identitaristes et l’obsession protectionniste qui interagissent pour  faire barrage à l'accueil de l'étranger.

    A cet égard, il convient d’abord de s’attaquer à l’ignorance et d’en appeler à  l’intelligence pour que les réalités qui sont derrière les flux de migrations actuels soient perçues pour ce qu’elles sont - autrement dit pour ce qui rend présentement inéluctables, là où ils se produisent, les mouvements de fuite des populations.

    Quant à l’intelligence, elle a pour elle que l’identitarisme xénophobe, par ses fondements idéologiques et par les référentiels sur lesquels il s’appuie, offre un contraste saisissant avec le niveau d’éducation et d’information des sociétés européennes où il sévit. Ce qui ouvre au discours que la raison adresse à ces sociétés le champ d’une pédagogie usant de la démonstration par l’absurde et de la provocation par la confrontation au non-sens. Que ce discours dise ainsi crûment qu’aucune organisation Todt renaissant de ses cendres ne sera en mesure de construire un Mur de la Méditerranée qui rendrait impénétrables les rivages européens du Bosphore à Gibraltar. Et qu’il ajoute pour faire bonne mesure qu’un projet aussi fou serait-il réalisable, il conduirait seulement les migrants à se noyer au large du Portugal ou dans le golfe de Gascogne, les survivants venant s’échouer sur les côtes landaises ou oléronaises ; et que pour avoir une quelconque efficacité, il obligerait à prolonger notre Grande muraille maritime en reconstruisant un Rideau de fer en travers de l’Europe orientale et centrale … Il pourrait encore aller jusqu’à interpeller les contempteurs des frontières de Schengen en les interrogeant sur les réactions de l’opinion internationale au cas où les états maritimes membres de l’Accord en viendraient, pour parfaire leur étanchéité de pays nantis, à envoyer leurs marines de guerre couler en Méditerranée les esquifs surchargés de migrants, ou à confier à des drones le soin de détruire du même coup embarcations, passeurs et réfugiés comme s’il s’agissait d’une base arrière de djihadistes irakiens (**).

    La générosité, elle, est déjà à l’œuvre : le ‘’ "Bloc notes migrants" qui nous décrit la situation des refoulés à la frontière franco-italienne en apporte ces jours-ci un réconfortant témoignage. L’exposition de cette solidarité, et plus encore celle de la détresse humanitaire auquel elle tente de faire face, sont de nature à ébranler les ‘’braves gens’’ (dans l’acception que Georges Simenon donnait à cette appellation) qui sont tombés sous l’emprise du courant xénophobe en accordant crédit à ses thématiques identitaires et sécuritaristes, mais qui demeurent susceptibles d’en revenir au spectacle d’un contre-modèle de société humaine dérivant vers des exclusions et des discriminations moralement insoutenables et régi par une violence légale incompatible avec les valeurs et le projet politique d’une république démocratique.

    On verra peut-être dans ce scénario la marque d’un excès d’optimisme. Mais enclins à rallier un protectionnisme identitaire parce que celui-ci leur a semblé répondre à leur crainte d’être abandonnés - abandonnés à la peur sociétale qui les encercle, à la précarité et au chômage qui les menacent s’ils ne les ont pas déjà frappés, à une insécurité dont on leur décrit et détaille sans relâche les effets ou la progression, à des incivilités aussi quotidiennement vécues que l’égoïsme social, les avantages indus et les improbités des puissants leur sont exposées, aux tensions interculturelles et inter générationnelles, et notamment à celles découlant de l’incomplète insertion de la génération de ‘’l’après-immigration’’ -, ces braves gens ne sont pas pour autant définitivement gagnés aux idées que propage le courant xénophobe. Et encore moins acquis à l’ordre racialiste qui en est la concrétisation.

    C’est là, sur le plan strictement politique, ce qui confère toute son importance au travail d’information et d’explication sur les drames que vivent les migrants refoulés, sur la situation faite aux réfugiés de toutes natures par un pays jadis autoproclamé terre d’asile, et plus généralement, sur les questions touchant à l’immigration : chaque contribution peut arracher des indécis à l’attraction d’un isolationnisme autiste ne voyant plus autour de lui que des menaces et conçu comme un cordon sanitaire vis à vis des peuples de l’extérieur ; et, en interne, à un basculement irrémédiable dans les rangs où l’on invoque « la France aux Français », signature authentifiée et immuable du nationalisme. Toute reconquête élargissant la part réceptive de l’opinion quand la conjugaison des révoltes de conscience entreprend de faire reculer l’Etat sur le parti de lèse-humanité où il s’est rangé pour s’être laissé tétaniser par les résonances trop favorables et les conversions que l’extrême-droite recueille dans l’opinion.

    Restent les actes qui peuvent être posés par ceux qui sont en situation de le faire avec éclat. Quand l’évêque de Nice, et trois autres évêques parallèlement, en appellent aux consciences en employant des mots dont on n’aurait pas compris qu’ils ne vinssent pas sous leur plume, on mesure par contraste que d’autres s’ils se sont probablement exprimés (il est charitable en cette matière de faire crédit), l’auront fait sans beaucoup se faire entendre. Beaucoup moins, par exemple, que lorsque l’idée leur est récemment venue d’exhumer Humanae vitae - comme les censeurs et les surveillants généraux de mes jeunes années faisaient de temps à autre rappel du règlement interne du lycée …

    Mais les mots pour justes qu’ils soient ne comptent que pour ce qu’ils sont. Et à de rares exceptions près - le « Ich bin ein Berliner » de Kennedy à Berlin ou bien sûr, rétroactivement, l’Appel du 18 juin - ils ne portent que ce qu’ils peuvent porter. De ce point de vue, la présence du pape François à Lampedusa avait une valeur exemplaire incomparable : eût-elle été muette, cette présence aurait porté un témoignage aussi fort.

    Cependant quand l’outrage aux droits les plus essentiels et à la dignité qu’ils protègent franchit un palier au-delà duquel l’atteinte qui est portée touche à la définition même de l’humanité - une définition dont celle-ci a entrepris de fixer l’idée et le contenu depuis ses origines, qu’elle tente difficilement de cerner à travers les temps, les cultures, les spiritualités et les œuvres de l’esprit, mais dont le socle est posé dans une vision majoritairement partagée du bien universel -, la riposte ne se mesure plus en gestes occasionnels ou ponctuels : c’est la permanence du refus qui doit s’exprimer et elle ne peut le faire que contre l’ordre établi. En montant en puissance de la critique et de la contestation déclarées à la subversion morale et civique, par le recours à toutes les armes que détient la désobéissance civile y inclus la part de provocation publique que cette dernière implique.

    L’exemple vient à cet égard des mouvements qu’ont initiés des hommes d’horizon aussi différents (et qui ont eu chacun leur part, inégale, d’ombre) que Gandhi, pour les travailleurs indiens humiliés et exploités en Afrique du sud, Martin Luther King pour les droits civiques et l’égalité des noirs américains ou l’abbé Pierre pour les mal logés en 1954.

    Si Pie XII a voulu - ainsi que des sources sérieuses le donneraient à penser - rejoindre les juifs de Rome et se mêler à eux la nuit où ils étaient frappés par la plus grande rafle nazie, et s’il s’est laissé dissuader de le faire par un entourage qui a failli par prudence et par circonspection, les pasteurs de maintenant, et tout autant les ‘’grandes voix’’ laïques, n’ont-ils pas à prendre le parti diamétralement inverse, à faire le choix de camper au milieu des réfugiés et à s’y tenir en exposant à toutes les autorités publiques et aux peuples d’Europe ce que la puissance d’une objection de conscience peut avoir d’irréductible ?

    Et pour ce qui est des pasteurs, s’il advenait que la raison leur recommande de retourner aux soins de leurs institutions, ne rencontreraient-ils pas en chemin, pour leur faire faire demi-tour, une apparition qui leur évoquerait quelqu’un, et de façon si précise qu’ils Lui demanderaient à leur tour « Quo vadis, Domine ? ».

    Didier LEVY - 02 07 2015

     

    (*) Je ne saurais trop recommander à qui ne la connaît pas la lumineuse analyse de la thématique de l’étranger dans les Ecritures qu’apporte l’article d’Emmanuel Lafont, directeur national des OPM-France, « Accueillir l'étranger dans la Bible » (on y accède facilement sur www.steinbach68.org/page94.htm). Je lui ai beaucoup emprunté.

    (**) Hypothèses qui ne sont malheureusement pas aussi inimaginables qu’on aimerait le penser : un ancien ministre, qui n’est pas ce qu’on fait à droite de plus proche des thèses d’extrême-droite, ne vient-il pas d’appeler, nonobstant sa nouvelle désignation qui fait de lui « Un Républicain », à la mise en place d’un blocus près des côtes libyennes pour éviter à l’Europe l’invasion d’un million de réfugiés ? Entre laisser mourir de faim et de soif les dits réfugiés sur les plages de Libye, ou dans le désert si leur exode repart en sens inverse, et les noyer en pleine mer, où est au fond la différence ?

     

     

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