• Enfance et famille, des représentations relatives

    Les représentations artistiques et graphiques de la famille au sein de son foyer, sont très récentes : elles prennent leur plein essor au XIXème siècle ; et on commence à en trouver en nombre certain à compter du début du XVIIème siècle.

    Les raisons en sont simples : jusqu’au XVIème siècle, il n’existe pas de délimitation nette entre la sphère publique et la sphère privée. Dans les villes européennes, les maisons communiquent entre elles, elles ouvrent sur les mêmes cours, les mêmes coursives, les galeries et les arcades où se pressent hommes, femmes, enfants vieillards, serviteurs, marchands. La vie est  avant tout sociale, dans la rue, dans le village ; et les diverses assemblées, fêtes saisonnières et religieuses rythment la vie collective, ne laissant qu’une faible part à l’intime.

    L’intimité n’est pas une valeur ; même la chambre conjugale est ouverte à tous vents…On vit sous le regard des autres.

                    L’école se fait au coin des rues et des places sur des bottes de paille, puis des bancs, à des assemblées d’ « écoliers » de tous âges : la notion de classe d’âge est totalement absente, ce qui compte, c’est le désir d’apprendre et de savoir ; nul ridicule à ce qu’un enfant de douze ans ait un niveau supérieur à un vieil homme qui souhaite s’instruire dans un domaine précis.

     

    Le concept d’ »enfance » est une découverte progressive.

    Jusqu’à la seconde moitié du XVIème siècle, les enfants sont considérés en êtres inachevés avant qu’ils n’aient l’usage de la parole ; puis, habillés en adultes miniatures, ils vivent au milieu d’eux, et sont priés de faire l’apprentissage des usages de leur milieu, et d’acquérir des capacités de discernement et de survie.

    Leur premier âge laisse indifférent-une indifférence de précaution, car ils peuvent si aisément être emportés par une maladie ou un accident-, irrité, ou encore amusé.

    Jugés incapables de comprendre ce qui les entoure, les jeunes enfants entendent tout des conversations et plaisanteries d’adultes, souvent à caractère sexuel ; ce n’est pas malséant. Sitôt sortis du berceau, ils n’ont pas de lit personnel, et dorment avec domestiques ou parents.

    Vers 7 ans, surtout pour les garçons, on commence à exiger d’eux décence et contrainte, afin de s’adapter à la vie collective, et de perpétuer la lignée, le commerce, le négoce ; en milieu rural le fermage et les cultures.

     

     La soi-disant « pureté » ou « innocence » de l’enfance, est une conception tout à fait nouvelle.

     Elle surgit au XVIIème siècle, avec les premiers traités d’éducation pour les deux sexes. (Jacqueline Pascal, Mme de Maintenon, diverses compagnies de Jésuites, les Oratoriens ; plus tard, Rousseau) Pour la première fois, on affirme l’utilité de séparer les enfants des adultes, pour ne pas « souiller » leur pureté initiale, et imprimer à leurs esprits mous comme de la cire, de bons principes.

    Si l’influence de l’Eglise n’est pas étrangère à ces changements, on note qu’en même temps, la sphère publique s’est rétrécie au profit du cercle privé.

    L’aristocratie et la bourgeoisie se retirent progressivement de l’espace et des réjouissances publiques, pour un « entre soi » de classe, *de salon ; coupé du « peuple », foule bigarrée et vivante qui occupe toujours les places les rues des  villes, bourgs et villages.

    C’est alors que la peinture représente davantage des portraits familiaux ou individuels  d’ « intérieur », marquant l’appartenance à une maisonnée.

    Néanmoins, la famille n’est pas encore nucléaire : cohabitent souvent deux générations (surtout en Europe du Sud) : le couple principal avec un père ou une mère veuf ou veuve, ou bien le couple et un frère ou une sœur encore célibataire. Bien souvent, les nombreuses morts des femmes en couches font cohabiter dans une famille les enfants issus de plusieurs lits.

    A cela s’ajoute la multiple domesticité ; Molière nous montre bien que le moindre quidam a toujours un valet. Cette domesticité n’est pas encore séparée des maîtres comme on le fera au XIXème ; elle participe pleinement à la vie familiale, et parfois est plus proche des enfants que leurs parents, qui conservent surtout un rôle d’autorité et de pouvoir.

    Cette demeure familiale, les enfants des classes aisées la quittent dés la naissance pour aller en nourrice, et y reviennent vers 7 ans, souvent pour repartir vers une institution religieuse, ou être confiés à une autre famille sous l’égide d’un « maître ». Les enfants des artisans et commerçants, bras indispensables, apprennent le métier soi chez eux, soit chez d’autres, pour revenir assurer la pérennité de l’entreprise.

    La famille, à taille variable, existe concrètement ; elle se resserre, pose des bornes, mais elle n’est pas encore exaltée, elle n’est pas un but ; le but principal est beaucoup plus la perpétuation d’une profession, d’un domaine, d’un lignage, d’une renommée, par le biais de la descendance.

    Pour notre grand bonheur, notre cher Molière a refusé de reprendre la charge de tapissier de son père….

     

    Peu à peu,  avec le concept de la spécificité de l’enfance, se fait jour le souci reconnu de leur éducation, au cours des XVII et XVIIIème siècles.

    C’est le développement de l’école par classe de sexe et d’âge, qui sert de viatique de passage vers l’âge adulte, et remplace l’apprentissage et le tutorat permanents de jadis.

    Les grands auteurs moralistes : Montaigne, Coulanges, Jean Baptiste de la Salle, ont réfléchi aux préceptes d’éducation nécessaires, relayés par les nombreux « traités », qui montrent une préoccupation grandissante de cette question, tant pour les garçons que pour les filles.

    En même temps, l’Eglise catholique a tourné la page du Sacré du Moyen Age pour se tourner vers les aspects moraux de la religion, sous l’influence des réformateurs.

    On rentre dans l’ère de « l’éducation chrétienne », sous la responsabilité des parents ; responsabilité qui est soulignée. Elle n’est plus dévolue à la collectivité, la socialisation passe du groupe à la famille : les bases de la famille moderne sont jetées.

    La représentation de la famille commence alors à être mise en exergue.

     

    Au XIXème siècle, la famille deviendra une véritable idéologie.

    Les raisons en ont été multiples : peur des ravages de l’industrialisation, découvertes scientifiques et début de l’hygiénisme, appels de pouvoirs politiques autoritaires à une morale religieuse, ou d’inspiration religieuse, pour limiter la contestation…des volumes entiers ont été écrits sur la question. Mais nous peinons à sortir de l’idéologie familialiste telle qu’elle s’est développée aux XIX et XXème siècle ; et certains ont tendance à confondre la « nature » avec cette construction issue des lentes évolutions successives de la pensée et des mœurs.

    La famille, et l’idée qu’on se fait du « bien des enfants », ou de leur intérêt, sont des notions mouvantes, datées, relatives.

    Cette relativité devrait nous amener à un peu de modestie ; et à éviter des proclamations naïves sur les « papas et les mamans » que les enfants devraient avoir constamment à leurs cotés pour bien se développer !

     

    Cependant, plusieurs questions paraissent dignes de réflexion :

    S’ils étaient loin d’être élevés dans la seule proximité constante de leurs parents, les enfants avaient en général la certitude leur filiation, réelle ou fictive. La honte de l’illégitimité, due au système patriarcal, semble avoir traversé les âges.

    Les questions de l’éducation et de la filiation sont donc distinctes.

    Enfin, ce regard permanent des autres, dans la vie sociale intense que nous avons observée précédemment, préservait- il davantage les enfants de la maltraitance ?

    Est ce que l’univers étouffant et triangulaire de l’époque moderne, de plus en plus réduit en raison du chômage et de la mobilité géographique, ne favorise pas la maltraitance par surcharge, exaspération, solitude ?

    Beaucoup de jeunes couples n’ont personne à qui confier leurs enfants pour faire des courses ou sortir,* et a fortiori peu de vie sociale. Nombre de jeunes mères n’ont plus l’étayage des autres femmes de leur famille pour les aider et les conseiller lorsqu’elles rentrent à la maison ; ce sont des professionnelles souvent débordées qui les remplacent, et pas systématiquement. On n’a jamais autant parlé d’ »aides à la parentalité » pour parents désemparés que depuis l’imposition de ce modèle familial.

    Surinvestis, surmobilisés, les parents de la famille nucléaire n’en peuvent plus…quand la famille n’est pas réduite à un seul parent, mère courage au sein d’un monde indifférent, et replié sur lui même.

    Voilà plutôt les enjeux de société sur lesquels nous ferions bien de nous pencher, au lieu de nous cramponner à des normes fluctuantes…

     

    Michelle.C. DROUAULT

     

     

    *1 mais comprenant toujours une vie sociale très active

    *2 il suffit pour s’en convaincre, de fréquenter les supermarchés le samedi

     

     

     

     


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