• Etre un enfant en France

     

     

    Etre un enfant en France semble être une situation aléatoire, assortie d'une protection à géométrie variable. La vulnérabilité de l’enfance ne paraît pas mettre à l’abri de l’intolérance ; et cela depuis fort longtemps.

    Les enfants Roms, expulsés sans ménagements de leurs campements avec leurs familles ; les enfants des banlieues, traités par la police comme d’éternels suspects potentiels ; les enfants sans papiers, traités comme des majeurs si ils sont isolés, ou placés en centre de rétention si ils sont avec leurs parents, dans une criminalisation grandissante de l’illégalité administrative : tous subissent une discrimination insupportable dénoncée depuis des années par les associations, tant laïques que confessionnelles.

    Sans que leur situation évolue beaucoup.

    Si le racisme actuel s’exerce surtout envers les immigrés africains, maghrébins, ou roumains, et les français antillais ou d’origine arabe, il fut une époque ou au contraire, mieux valait pour un enfant ne pas être trop blond…

    Un ouvrage remarquable paru en 2004, « Enfants maudits », de Jean Paul Picaper et Ludwig Norz,* retrace le calvaire vécu entre 1942 et 1960 par les enfants nés pendant la seconde guerre mondiale d’un père allemand et d’une mère française, et surnommés « enfants de Boches ».

    En 2004, on les estimait à 200 000.

    La paternité, réelle ou supposée, d’un allemand, exposait un enfant à quolibets, insultes, coups, brimades, de la part de beaucoup de ses camarades, souvent de son instituteur, et dans la majorité des cas, d’une partie de sa famille. Ainsi, une femme raconte comment, jusqu’à l’adolescence, elle avait été maltraitée par son grand père, vétéran de la guerre de 14/18, qui reportait sur elle sa haine des allemands, ennemi « héréditaire ».

    La blondeur éclatante, les yeux très bleu, attiraient une suspicion immédiate si le père était inconnu.

    Un tel ostracisme est le résultat du dogme patriarcal de l’appartenance de l’enfant au père, au seul sang du père. Car enfin, ces enfants avaient des mères françaises, ils étaient aussi fils et filles de françaises, autant qu’enfants d’allemands !

    Ces enfants ont grandi avec un tel sentiment de honte que la plus part n’ont pas osé parler de ces maltraitances, ni de leur cause, à leur conjoint  une fois mariés.

    C’est très tard qu’ils ont entamé des recherches, encouragés par les auteurs de cet ouvrage, et par l’association « Cœurs sans Frontières ».*

    En 2010, la Chancelière Allemande a décidé d’accorder aux enfants de couples mixtes qui connaissaient l’identité de leur père, la nationalité allemande en sus de leur nationalité française : ils sont devenus bi-nationaux. Certains ont même changé de patronyme ; ou bien accolé celui de leur père à celui de leur mère. Souvent, ils ont fait connaissance de leur famille allemande, oncles, tantes, demi frères et sœurs, plus rarement, de leur père si il était encore en vie.

    Ces récits font trembler :

    Le régime de Vichy s’en est pris aux enfants juifs, en les  forçant à porter l’étoile jaune dès l’âge de 7 ans , en les interdisant de jardin public, d’école, de loisirs et même de bicyclette  ; puis en les raflant pour les livrer aux allemands qui les envoyaient à la mort ; et la majorité des français n’a réagi que devant cette dernière atrocité.

    A la Libération, la France plongée dans le mythe de la Résistance massive a tourné sa haine vers les plus impuissants ; elle a tondu des femmes, et stigmatisé d’autres enfants, les « enfants de Boches ».

    C’est à dire que la notion de l’irresponsabilité des enfants devant leur origine n’était pas acquise ; celle de leur vulnérabilité, et des dégâts psychologiques irréversibles causés par les discriminations et la violence dans l’enfance, non plus. Malgré l’expérience de la guerre.

    L’est elle vraiment de nos jours ?

    Certes, une minorité éclairée par quelques psychanalystes et pédopsychiatres passionnés par l’enfance en a conscience.

    Cependant les faits de répression injustifiée envers des mineurs que nous citions plus haut permettent de douter  de la diffusion réelle des impératifs d’une véritable protection du statut d’enfant.

    L’actualité récente a de tristes échos : des politiques exhibent comme programme le fait de discriminer les enfants en vertu de la religion de leurs parents, et de supprimer une pratique vieille de trente ans : proposer aux enfants juifs ou musulmans des menus alternatifs sans porc dans les cantines scolaires.

    Après avoir vu leurs mères voilées interdites d’accompagnement de sortie scolaire, nul doute que certains enfants ne développent un fort sentiment d’exclusion et  peut être, de haine.

    Comment s’étonner qu’ensuite, ils aient la tentation de se jeter dans les bras de sectes qui jouent sur l’identité religieuse ?  Ce n’est qu’hypocrisie.

    Nous le rappelions dans un autre article : « malheur à celui qui blesse un enfant » ! 

    Mais les blesseurs d’enfants sont prêts à en piétiner des troupes entières si cela peut leur assurer le pouvoir…

    Le plus inquiétant a été la réaction des internautes sur les sites des journaux numériques : un large consensus de lecteurs se dégage en faveur de cette mesure aussi discriminatoire qu’inutile.  A gauche, des laïcards fanatiques crient victoire devant la disparition d’un « symptôme » religieux de plus qui « empoisonnerait » l’atmosphère. A droite, d’autres prétendent que la suppression des menus alternatifs favorisera le « vivre ensemble » ?

    Rendons grâce à ceux qui soufflent dans la soupe : un internaute fait une intervention remarquable en demandant le sens exact d’une telle mesure : le fait que chaque élève puisse choisir son repas a-t-il  créé des bagarres scolaires ? Evidemment, non ! Le fait de manger du porc est-il un élément de neutralité ? Et il fustige -à juste titre- les « interdits gratuits non fondés par une loi ». Le plus intéressant dans ce commentaire, est la remarque que les français possèdent une étrange capacité à DÉTOURNER LE SENS DES VALEURS.

    Ce qui est tout à fait juste.

    En attendant, il semble que l’on soit plus attentif à de telles futilités purement idéologiques, qu’à la sécurité des enfants à l’école, et à leur intégrité physique et morale : les autorités judiciaires n’avaient pas jugé opportun de renseigner l’Education Nationale sur les tendances pédophiles et les condamnations antérieures d’un enseignant du primaire, qui se trouve actuellement mis en examen pour viols sur mineurs…

    Etre enfant en France ? Courage, on finit toujours par grandir…..

     

    Michelle C. DROUAULT

     

    *1 Jean-Paul PICAPER, Ludwig NORZ, « Enfants Maudits », Editions des Syrtes, 2004

     

    *2 Cœur sans Frontières, Herzen ohne Grenzen,

     

         association franco-allemande des Enfants de la Seconde Guerre Mondiale


  • Commentaires

    1
    levy
    Dimanche 29 Mars 2015 à 12:38

    En plein accord avec vous !


    Et avec une nouvelle fois la joie de trouver en votre blogue un lieu de communion de pensée, où s'exprime un engagement fait de générosité et d'ouverture spirituelle et intellectuelle.


    Un lieu où l'on se sent plus qu'en sympathie - en amitié.


    Un vœu toutefois : que vous laissiez à d'autres l'emploi du terme "laïcard", dont il n'importe pas au fond de savoir s'il est blessant (ou s'il serait dissuasif) pour les intolérants et les sectaires qu'il vise, mais qui en revanche construit  à coup sûr un néologisme péjoratif sur une valeur, la laïcité, qui en subit forcément une atteinte indirecte alors qu'elle doit demeurer, à mon sens, insusceptible de toute exposition à ce qui pourrait l'affaiblir.


    Dans un pays où les déchirements et les haines sur fond de questions religieuses sont séculaires, et ont donné lieu à toutes les formes de violence, c'est sur elle, et elle seule, que s'est fondé et repose le "contrat de tolérance" entre les croyances et les convictions.


     


    En vous redisant toute mon amitié, toute mon adhésion de cœur et de raison.


    Didier Lévy

    2
    michelle
    Dimanche 29 Mars 2015 à 16:22

    Vous avez raison, Monsieur, le terme "laÏcard" n'est peut être pas bien choisi.


    Il est difficile d'en trouver un sans être péjoratif, c'est vrai. Avez vous une idée d'une autre terminologie?

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