• Femmes, la violence des mots

    Un  livre défraye actuellement la chronique : il s’agit de « Marie- toi et sois soumise », de Costanza Miriano, journaliste italienne. 

    Si l’ouvrage a eu un succès incontesté pendant quelques semaines en Italie, il n’a provoqué aucune polémique. Par contre, sa traduction espagnole, éditée par la maison d’édition sponsorisée par le tristement célèbre archevêque de Grenade (voir notre article « Corps brisés, esprits sous influence ») a déclenché la fureur de certains partis politiques, et des organisations des droits des femmes en Espagne. 

    Nous avons tenté d’y voir plus clair, en navigant sur le blog de l’auteure, ses interviews, les commentaires des internautes dans la presse espagnole ; et enfin en explorant la position de Mgr Martinez, qui s’est exprimé pour défendre son poulain… 

      

    Tout d’abord, il existe DEUX livres parallèles : 

    Un à l’usage des femmes : « Marie toi, et sois soumise », dont la couverture évoque une attitude d’humilité et de subordination certaine de l’épouse ; il est présenté comme « une expérience radicale pour les femmes sans peur » 

    Un autre à l’usage des hommes : « Marie toi, et meurs pour elle », 

    « Des hommes de vérité pour des femmes sans peur » 

    Reconnaissons que la presse espagnole parle fort peu du second. 

    Ce sont les deux titres qui ont remporté un succès en Italie. 

    A lire les interviews de l’auteure, et des extraits de son ouvrage, il nous est surtout apparu qu’il s’agissait d’une femme qui vit dans un conte de fées, et certainement pas dans la réalité. 

    Elle reconnaît ne pas avoir écrit un traité de sociologie (nous voilà rassurés), mais vouloir aider les lectrices à « mieux aimer leur mari, et prendre soin de lui, et  demander (à nos époux) de prendre soin de nous (…)  faire l’apprentissage des langages de l’homme et de la femme, qui sont très différents (…) ; apprendre comment assumer tous les différents rôles de la femme moderne :femme, épouse, mère, travailleuse, femme de foi, qui cultive son esprit, mais aime aussi prendre soin de son corps ». 

     Rien de bien extraordinaire ! Ce sont les éternelles recettes des magasines féminins. 

    Mais son propos peut faire penser à une sorte de remake moralisant de « La Belle et la Bête » : 

    Le rôle de la femme dans un couple serait de « montrer à l’homme que le bien et la beauté sont possibles (…) comme une sorte de miroir positif…. » 

    « L’homme tend à l’égoïsme, et la femme peut vaincre cette inclination négative, non en revendiquant, en criant, ou en serrant les poings, mais en montrant la beauté d’un amour total, du sacrifice de son propre égoïsme. »  

    Elle doit faire du foyer une « antichambre du paradis » (….) un lieu magnifique où se reposer la tête… » 

    Costanza Miriano insiste sur la douceur (innée ?) de la femme, qui doit « éveiller les meilleurs sentiments de l’homme, et, « comme dans l’amour courtois, résister au côté animal de l’homme « … 

    « Réclamer en criant le respect de ses propres droits ne sert à rien » ajoute-t-elle. 

    Certes, nous pourrions nous dire que ce livre mérite sa place au milieu des contes de Perrault (encore que certains ne mettent en garde les jeunes filles contre les abus possibles), et hausser les épaules. Mais  sa publication s’accompagne de plusieurs problèmes : 

    -Il ne tient aucun compte de la situation réelle, tant économique que politique, des femmes dans le monde. 

    L’auteure prétend que la violence ne concerne pas les femmes « normales » comme elle (!) ; c’est ce qui montre son degré d’inconscience de ce que vivent la masse des femmes, et surtout son manque de solidarité avec elles. 

    -Il prétend s’appuyer sur une interprétation d’un texte théologique (la lettre de St Paul aux Ephésiens) sans aucune exégèse sérieuse, et tente de faire ainsi pression sur les femmes catholiques pour qu’elles acceptent ce point de vue 

    -Il est sponsorisé par un prélat (l’archevêque de Grenade) qui dans ses commentaires persiste et signe sur une vision du monde manichéenne et infantilisante, qui nie la véritable violence faite aux femmes ; et est par ailleurs accusé par nombre d’espagnols, y compris croyants, d’avoir gardé des sympathies franquistes et des opinions d’extrême droite…. 

    C’est à dire qu’en l’occurrence, l’ignorance tient lieu de savoir. 

      

    1- UNE CONFRONTATION AVEC LA RÉALITÉ 

    Madame Miriano nie absolument justifier la violence machiste, et cela est exact dans les termes de son texte, mais pas dans son signifié ! 

    Elle légitime les stéréotypes de genre ; et nous savons depuis longtemps que les stéréotypes de race et/ou de genre excusent la violence. 

    Si l’homme ne peut s’empêcher d’être animal, alors, violer, frapper, dominer, serait dans sa nature, et non une construction culturelle qui peut être éradiquée. 

    Dire aux femmes que « revendiquer ses droits ne sert à rien »mais que seule la douceur sacrificielle est efficace, est absurde et criminel.*1 

    La confusion entre NON VIOLENCE et abnégation est ici utilisée.
    Si, il faut revendiquer ses droits au respect en tant qu’être humain, mais on peut ne pas le faire avec violence. L’immense majorité des légitimes manifestations de femmes pour leurs droits humains sont pacifiques ; ce sont les pouvoirs masculins qui les répriment avec violence.
     

    L’ignorance totale de l’auteure des mécanismes de violence intrafamiliale est patente ; aussi devrait elle s’abstenir de jouer les conseillères conjugales. 

    Elle accrédite l’idée dangereuse que l’attitude de l’homme va RÉSULTER de celle de la femme, c’est à dire qu’elle en serait responsable. 

    Or, dés qu’une situation de violence survient, qu’elle soit physique ou psychologique, la première phase de sidération passée, la femme pense qu’en MODIFIANT SON ATTITUDE, la violence va passer ; qu’elle n’a qu’à s’ajuster, et tout rentrera dans l’ordre. 

    Certaines épouses d’hommes violents, ou simplement tyranniques, sont de véritables anges de patience et de dévouement, et des femmes appréciées et aimées de tout le monde …sauf de leur conjoint, jamais satisfait. Car le problème est en lui ! 

    Tout homme qui effectue des pressions sur sa compagne pour qu’elle satisfasse ses désirs, a un problème de communication important : il ne peut pas dialoguer et négocier pour tenter de persuader l’autre pacifiquement de son point de vue ; et un problème de maturité : il est incapable de tolérer la frustration (souvent dans le cadre de carences éducatives antérieures). Ou encore, il peut être un pervers qui aime dominer. 

    Dans les deux cas, l’amour, la patience extrême, le sacrifice, ne feront rien, bien au contraire ! Les immatures seront jaloux de la perfection de leur épouse ; et les pervers jouiront de ses perpétuels sacrifices. Nous ne sommes pas à Disneyland ! 

    Les deux catégories d’hommes s’appuient sur les stéréotypes sexistes pour justifier leur domination, aussi les renforcer par de tels propos leur donne du grain à moudre. 

    Un des signes, parmi d’autres, de violence conjugale latente en travail social, est le discours stéréotypé et rigide sur les rôles de chacun. Il ne s’agit pas seulement des tâches familiales, mais de la HIERARCHIE des rôles. Qui décide ? Qui s’incline toujours ? 

    Bien sûr, la journaliste italienne prétend qu’en Italie, l’idée que les hommes et les femmes pourraient n’être pas égaux n’a plus cours ? Si c’est le cas, je me demande pourquoi une marche des femmes contre les violences qui leur sont faites, a eu lieu pas plus tard qu’en Septembre dernier dans une ville du Nord de l’Italie ? 

      

    2- UNE CONFRONTATION AVEC LES TEXTES DE ST PAUL 

    Il semble que l’auteure fasse une lecture fondamentaliste de la lettre de St Paul aux Ephésiens (5, 21). 

    En effet, jusqu’au concile Vatican II, une lecture tout à la fois classique et tronquée en était faite dans les mariages, justifiant l’obéissance et la soumission de la femme : 

    « Que les femmes soient soumises à leur mari comme au Seigneur, parce que l’homme est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l’Eglise ». 

    La réciproque, c’est à dire que l’époux » chérisse sa femme comme son propre corps, et l’aime comme lui même » était, la plus part du temps, omise ou minorée. 

    MAIS l’encyclique du pape Jean Paul II »Mulieris Dignitatem » (la dignité des femmes), en 1995  établit une RUPTURE sur ce sujet : 

    Le Souverain Pontife commence par une interprétation contextuelle : Si St Paul parle de la soumission de la femme à son mari, c’est en raison «  d’un enracinement dans les mœurs et les traditions du temps » (ch. 24). 

    C’est pourquoi il nous faut comprendre que la seule soumission légitime est celle de l’Eglise au Christ. Par contre, dans la relation époux/épouse, elle doit être réciproque. 

    Cette interprétation se veut ferme : 

    « Le défi de l’ethos de la Rédemption est clair et définitif. Toutes les motivations de la soumission de la femme à l’homme dans le mariage doivent être interprétées dans les sens d’une soumission RÉCIPROQUE. » (Mulieris dignitatem ch. 24) 

    Donc, même un pape a une exégèse plus progressiste ! 

    Par ailleurs, il nous semble que St Paul est très exigeant envers les hommes : « qui ne prend soin de son corps ? » demande- t-il, l’épouse étant comme le corps de l’époux. 

    C’est à dire que cela peut être interprété à juste titre comme une exigence évangélique absolue d’amour du prochain. 

    Or Costanza Miriano ne parle de cette réciprocité qu’en termes de différence : 

    « Marie toi et meurs pour elle », dit elle aux hommes. 

    Mais dans nos démocraties occidentales, il est bien rare qu’un homme ait à mourir pour défendre ou protéger son épouse !! Et dans les pays en guerre, beaucoup le font spontanément sans avoir besoin d’être ainsi apostrophés. 

      

    3- LES RÉACTIONS DE L’ARCHEVÊQUE DE GRENADE, ET CELLES DES INTERNAUTES 

    Sur son blog, Mgr Javier MARTINEZ défend bec et ongles l’ouvrage de sa protégée. 

    Ce texte n’a « rien à voir avec les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes dans le nihilisme contemporain ». Certes, Monseigneur, qui a le pouvoir sur qui ? 

    Les deux livres seraient simplement « une réflexion sur la foi dans le monde contemporain », au milieu de « la culture dominante contemporaine ». Une culture dont il ne précise pas les problématiques ou les enjeux. 

    Puis, il enfourche son dada : « Ce qui facilite la violence sur les femmes est la législation sur l’avortement (…) qui laisse la femme livrée à elle-même sans donner de responsabilité à l’homme ». Quand l’Eglise a-t-elle clamé aux hommes qu’un enfant se faisait à deux, et qu’ils devaient être responsables ? Quand a-t-elle blâmé publiquement les violeurs et les abuseurs ? Jamais ! Au contraire, elle a parfois tenté de protéger des pédophiles, et excommunié la mère d’une fillette abusée. Et avant la législation, les femmes étaient abandonnées aux risques mortels d’avortements clandestins, seules, les futurs pères se désintéressant de la question… 

    Le problème semble en effet la personnalité de l’Archevêque. Rappelons que dans son homélie de Noël de 2009, il avait déclaré l’avortement crime plus abominable que ceux des nazis…. 

    En Espagne, les passions se sont déchaînées surtout contre lui et l’Eglise espagnole ; beaucoup moins contre l’auteure des livres, davantage considérée comme une naïve sous influence. **2 

    Les réactions des internautes sont très violentes, dans une sorte de « backlash » auquel il fallait s’attendre. La blessure du franquisme, et de l’alliance d’une partie de l’Eglise espagnole avec le régime, ne paraît pas totalement cicatrisée, ce qui est normal tant la douleur fut grande pour nombre de croyants. Certains internautes signent fièrement « un républicain ». 

    Beaucoup de commentaires sont carrément anticléricaux : Costanza Miriano ayant déclaré que « si il fallait censurer tout ce qui évoque la soumission, il faudrait brûler la Bible », une internaute déclare : « Brûler la Bible ? Eh bien, c’est la seule parole sensée qu’a prononcé cette femme ! » et un autre répond : « Oui, vite, passez moi une Bible que j’allume la mèche ! ». Ces commentaires sont tempérés par d’autres, qui s’insurgent contre toute idée de censure (certains partis demandent l’interdiction des ouvrages), et disent que quand on commence à vouloir brûler les livres, c’est là qu’on revient à des périodes totalitaires… 

    Le seul résultat tangible de la publication de ces pamphlets, semble être de raviver la souffrance légitime des espagnols d’avoir été trahis par leur Eglise, et d’augmenter la désaffection des fidèles… 

      

    Michelle. C. Drouault, et Michèle Jeunet. 

      

    *  1  Les sites catholiques sont pleins de témoignages de femmes qui se sont sacrifiées pour des hommes égoïstes, parfois violents, et demeurent bien amères au seuil de la vieillesse… 

    Certaines le paient de leur vie, comme à Nantes, en 2011. 

      

     

    ** 2 « Cette brave dame est-elle au courant que nous vivons au XXIème  siècle ? » interroge une internaute  

     

     


  • Commentaires

    1
    Féminisme abusif
    Lundi 18 Janvier 2016 à 22:44

    Tout à fait d'accord avec vos propos, cependant cela ne vous dérange pas de qu'on demande à des hommes de mourir pour leurs femmes. Ce n'est pas une inégalité cela? Jamais je n'accepterais de mourir pour une femme. Jamais.

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