• IVG:l'enjeu du ventre des femmes, suite.

     

    Tandis que des milliers de femmes et d'hommes déferlaient dans les rues de Madrid samedi dernier pour clamer le droit fondamental des femmes à mettre fin à une grossesse non désirée dans les délais légaux, les évêques espagnols ont déclaré, eux , que la loi réduisant les possibilités d’IVG aux cas de viol et de danger pour la mère était « une avancée positive ».

    En France, 40 000 personnes ont manifesté leur solidarité avec les femmes espagnoles et plus de 2000 ont manifesté à Bruxelles devant le Parlement Européen.

     

    Poursuivons notre tour d’horizon des positions des religions par rapport à l’interruption de grossesse…

     

    Les PROTESTANTS sont sortis de leur silence en 1971, à l’époque où le débat était déjà bien avancé en France.

    « Dans certains cas, il y a plus de courage et d’amour à prendre la responsabilité d’un avortement qu’à laisser venir au monde des vies menacées » (déclaration de la Fédération Protestante de France). Les cas envisagés étaient limités : viol, inceste, menace pour la santé de la mère ou de l’enfant. Cependant, cette déclaration exprimait aussi que l’avortement était toujours un acte grave, et ne devait en aucune manière remplacer la contraception.
    Les femmes devaient être en mesure de prendre des décisions libres et responsables, accompagnées et soutenues par un service social compétent.

    En 1973, cette position a été élargie aux cas de détresse sociale, tout en précisant que ce n’était pas une raison pour ne pas combattre la misère et les problèmes sociaux.

    Puis le débat s’est poursuivi, avec un appui à la loi Veil, « en raison des convictions chrétiennes » des protestants : ceux ci se montraient particulièrement sensibles aux centaines de décès annuels provoqués par les avortements clandestins.

    En 1994, un document commun aux différentes Eglises protestantes, dans un but louable de débat et de compromis, pose un certain nombre de principes :

     

    -l’avortement est toujours un acte grave, et il doit être combattu,

    -il doit l’être par la PRÉVENTION : éducation à la responsabilité en matière sexuelle, contraception, aides sociales familiales.

     

    -L’IVG doit être dissociée de la contraception : la sexualité n’est pas seulement destinée à la procréation ; elle est un plaisir partagé et gratuit ; la contraception fait partie de la responsabilité des couples. Par ailleurs, la maîtrise de la démographie est quelque chose de nécessaire au point de vue planétaire.

    -L’embryon peut être considéré comme « une personne humaine POTENTIELLE », mais le choix final doit absolument revenir à la femme qui le porte, parce que c’est elle qui éprouve la douleur de la situation ; « Il y a un point où le jugement s’arrête, et laisse place à la simple compassion ».

    Enfin, les protestants soulèvent le point des failles juridiques et humaines de la loi Veil sur l’avortement thérapeutique. Ils suivent avec intérêt les progrès médicaux sur la contraception et la fertilité.(contragestifs, diagnostics prénataux, fécondations in vitro..)

     

    LES ORTHODOXES

     

    Pour les orthodoxes, la fécondité et la reproduction ne sont pas la justification du mariage.

    Le mariage est une « bénédiction de la vie » ; l’amour est une fécondation réciproque.

    La contraception consiste à transcender la nature. Elle est l’affaire des couples, car, dit un patriarche « Si une femme et un homme s’aiment vraiment, je n’ai pas à entrer dans leur chambre ; tout ce qu’ils font est saint »

    Toute forme adaptée de contraception doit être mise en œuvre pour éviter l’IVG.

    Celle ci est un moindre mal dans des cas graves : menace pour la santé de la mère, viol, inceste, malformations incurables du fœtus, détresse psychologique et sociale rendant la maternité impossible.

    Cependant, même en dehors de ces cas, un langage de compréhension et de miséricorde doit être tenu.

    La femme n’a pas à être tenue pour plus responsable de cet acte que l’homme ou la société.

    Afin d’éviter l’IVG, la communauté est tenue de soutenir une mère célibataire, et de ne pas la blâmer.

    Enfin, pour toute interruption de la grossesse, qu’elle soit naturelle et spontanée, ou volontaire, une prière est dite.

    Certains orthodoxes russes ont actuellement des interprétations beaucoup plus restrictives et jugeantes, mais il semble qu’elles soient surtout liées à la volonté d’être en phase avec des mouvances de la société civile très patriarcales et misogynes.

    Dans la religion orthodoxe, le même regard de miséricorde est posé sur le divorce et le remariage. Un évêque peut considérer qu’un mariage a cessé d’exister en cas de séparation de fait durable, de violence, d’aliénation mentale, d’adultère répété.

    Un second mariage peut être béni, mais il doit être accompagné d’une démarche pénitentielle. Eviter les mêmes erreurs, et porter un regard lucide sur l’échec de la première union est indispensable.

     

    A la fin de cette rétrospective, nous voici revenu-es à notre interrogation première :

    Comment se fait-t-il que l’Eglise catholique soit la plus inhumaine, la plus intransigeante, la plus irréaliste, en matière de « morale conjugale et sexuelle », et d’avortement ?

    Et tout d’abord, en affirmant ces positions, est elle vraiment dans le domaine de la Foi ?

    C’est ce que questionne le philosophe Francis Kaplan.*

    Dans un entretien au sujet de son ouvrage « L’embryon est il un être vivant ? » (Paris, 2008, ed du Félin), publié dans la « Quinzaine Littéraire », le philosophe rappelle les données que nous avons citées plus haut, c’est à dire la position de Thomas d’Aquin, confirmée par quatre papes successifs ( SixteV, Grégoire XIV, Pie IV, Pie V) : l’embryon ne devient un être vivant que 40 à 90 jours après la conception. Et les 90 jours correspondent à peu prés à la période d’autorisation légale de l’IVG en France. ( pour lire l’entretien complet, cliquez ici : http://www.francis-kaplan.com/entretien-embryon.html ) 

     

    Ce que Benoît XVI a reconnu, c’est que l’interdiction de l’avortement par l’Eglise ne résultait pas de raisons théologiques, mais de SON INTERPRÉTATION DE CE QUE DIT LA SCIENCE MODERNE.

    Nous voici donc dans un autre domaine, qui lui, est discutable, peut faire l’objet de débats et de controverses au fur et à mesure des découvertes…mais qui ne l’est pas, et est asséné comme un dogme invariant et figé, auquel les fidèles sont sommés d’obéir sous peine d’excommunication !

    Etablissant le distinguo nécessaire entre « être vivant » et « être un être vivant », Kaplan définit l’être vivant comme bénéficiant de fonctions vitales qui forment système ; la dégradation ou l’arrêt d’une de ces fonctions entraînant la mort, ETRE N’AYANT BESOIN D’AUCUN AUTRE POUR LE MAINTENIR EN VIE.

    Or, l’embryon n’a pratiquement aucune fonction vitale ; celles dont il a besoin pour être vivant sont celles de la mère. Ce sont les fonctions digestives, respiratoires, glycogéniques, excrétoires, de celle-ci qui lui permettent de fonctionner. Si la mère ne respire plus, ne se nourrit plus, il meurt. Ces échanges mère/fœtus sont remarquablement détaillés dans son livre.

    Il ressort comme évident que l’embryon ou le fœtus peut être considéré une partie de la mère, comme le pose le JUDAÏSME.

    Mais jusqu’à quand n’est il ABSOLUMENT PAS SUFFISAMMENT un être vivant ?

    C’est à dire sans fonction cérébrale, sans système coordonné ? Pour l’auteur, à la lumière des dernières recherches scientifiques sur lesquelles il s’appuie, la réponse est : jusqu’au terme du troisième mois. C’est à dire douze semaines. Le délai légal français pour une IVG.

     

    Ce n’est donc pas sans raison que certains et certaines ont comparé les positions de l’Eglise catholique, et de certains ultras des autres confessions, au problème rencontré par Galilée : il ne s’agit nullement de foi, mais d’interprétation de la science ; et en quoi l’Eglise est elle plus compétente que d’autres dans ce domaine, au point de vouloir imposer sa vision au monde entier ? Pour affirmer la même position répressive d’interdiction absolue de l’avortement, les protestants évangélistes invoquent eux aussi la science et la philosophie. A quel titre ?

    Cette question reste ouverte, et elle mérite qu’on se la pose.

    Les partisans de l’interdiction absolue de l’avortement pourraient être considérés comme une secte, qui non seulement ne reconnaît pas à la femme le statut d’être vivant dont le droit à la vie est intangible. Mais aussi dénie totalement l’évidence scientifique selon laquelle c’est l’organisme maternel le pourvoyeur de vie.

    Si les croyants sont tenus à certains articles de foi, ils n’ont aucune obligation de croire que la terre est plate !

     

    Michelle .C. Drouault.

     

    * Francis KAPLAN, philosophe et professeur de Philosophie ; directeur au département de Philosophie de l’Université de Tours.

    Principaux ouvrages :

    « la Passion antisémite habillée par ses idéologues » (2011)

    « l’Embryon est il un être vivant, » (2008)

    « le Paradoxe de la Vie, la biologie entre Dieu et Darwin »  « Introduction à la philosophie de la religion ».

     

     


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