• Le poisson, la bicyclette et la plage de Cannes.

    « Une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette », disaient certaines affiches féministes des années 70/80…

    Ce type de propos pourrait être repris avec humour et bonheur pour illustrer la décision absurde et liberticide du maire de Cannes, et d’autres communes en PACA, d’interdire le port du «burkini» (maillot de bain couvrant) sur les plages municipales.

    Cette tenue, selon l’édile, constituerait un « trouble à l’ordre public », en référence à la tuerie de Nice du 14 Juillet.

    Or, comme nous l’évoquions dans notre précédent article, il est prouvé que ce meurtre de masse, certes préparé par son auteur, ne relevait pas d’une démarche politique ou idéologique, mais était surtout l’acte d’un homme déséquilibré et violent depuis plus de dix ans (son père avait fait appel à un psychiatre en 2004 à la suite d’actes de violence et de séquestration) désespéré et suicidaire. Le sociologue Farhad Khosrokhavar, spécialiste dans l’étude de la radicalisation, confirme cette dimension psychiatrique et fait le parallèle avec l’acte du co-pilote allemand de Germanwings, qui a entraîné plus de 180 personnes avec lui dans la mort.

    Néanmoins,  à la suite de ce crash meurtrier, nul n’a interdit notre sol aux citoyens allemands au motif que leur seule présence constituerait un trouble à l’ordre public.

    Dans ce contexte, lier le port d’une tenue de bain portée par des femmes de confession musulmane à cette tragédie est aussi illusoire que de rapprocher poissons et bicyclettes. (Et insultant pour les musulmanes elles mêmes victimes ou endeuillées par l’attaque du 14 Juillet)

    Merci à l’internaute qui ironise sur le site du « Monde » : « Peut-on faire de la danse classique en tenue de scaphandrier ? », démontrant par là même l’inanité de ce décret.

    Le « trouble à l’ordre public » n’est pas constitué par les quelques (rares) femmes arborant cette tenue, mais par le fait qu’un représentant de l’Etat se mêle de ce que doivent porter les citoyens-et plus précisément les citoyennes- pour aller se baigner ! 

    « Ce n’est pas le rôle du gouvernement de réglementer ce que les citoyens doivent porter » a commenté la Première Ministre britannique Térésa May (en Grande Bretagne, les fonctionnaires peuvent porter le turban shik, ou un discret hijab).

    Nous voici donc revenues aux interdictions du bikini dans l’Espagne franquiste et sous la dictature portugaise, ainsi que dans certaines régions de la (trop) catholique Italie de naguère… Pire encore, il ne s’agit nullement « d’attentat à la pudeur », c’est à dire que les contrevenantes, à qui l’on veut infliger 38 euros d’amende, n’ont commis aucun délit, et ne peuvent choquer aucune tête blonde.*

    Si le maire craint les agressions racistes de ces femmes, qu’il punisse les agresseurs éventuels, et non les possibles victimes. Un décret dans ce sens aurait alors une logique !

    Sont invoqués les « bonnes mœurs » et les règles « d’hygiène et de sécurité ». Mais quelles bonnes mœurs ? Il est seulement interdit depuis toujours de se balader sur la plage dans le plus simple appareil, et de se baigner nu, sauf sur certains sites naturistes.

    Quand à l’hygiène, personne n’a jusqu’à présent démontré que les combinaisons de plongée, par exemple, ou les tenues protectrices des surfers soient contraires à l’hygiène ! Dans ce cas, il conviendrait de verbaliser également plongeurs et surfeurs. Ah, il est vrai qu’avec le masque , le visage est dissimulé ! Vite, ôtons nos masques, et avalons la mer et ses poissons…

    Jusqu’à présent, les nombreux messieurs qui se baignaient en caleçons (et étaient par là susceptibles de déverser en Méditerranée diverses mycoses), n’avaient attiré l’attention de personne. Et à bien y regarder, les strings sembleraient plus propices à la propagation des MST que les burkinis.

    Tout cela prête d’abord à rire.

    Cependant, tant de mauvaise foi et de détournement des lois républicaines nous fait passer du rire au malaise, et du malaise à la crainte du pire : la haine systématique et publique pour une catégorie de personnes. La Ligue des Droits de L’Homme ne s’y est pas trompée, qui titre :

    « Le maire de Cannes interdit la baignade et baigne dans la haine religieuse ».

    Et comme d’habitude, les hommes tuent, les femmes payent.

    La question n’est pas de savoir s’il est adéquat de se couvrir ainsi pour aller se baigner.

    Pas plus que de savoir s’il est beau, ou sain, d’aller à la plage seins nus. Cela ne regarde que les femmes elles-mêmes. Rappelons-nous sans faiblir que ce qui est obscène est défini dans nos sociétés par les individus de sexe masculin : enlever le haut était scandaleux voici trente ans, se couvrir l’est à présent, dans des buts politiques, électoralistes, dont le corps des femmes fait encore et toujours les frais.

    La signification possible de ces maillots couvrants ne m’est pas agréable : cela peut vouloir convenir que mon corps est un objet de tentation, et que je dois le dissimuler ; dispensant les hommes de leur responsabilité à réfréner leurs pulsions. Je n’aimerais par conséquent pas en porter.

    Mais pour rien au monde je ne voudrais ôter à celles qui le souhaitent la liberté d’arborer des « burkinis », ou de se baigner habillées si elles se sentent plus à l’aise.

    (Pourquoi un nombre croissant de femmes se sentent gênées de montrer leur corps est un autre problème, qui peut être débattu entre les femmes elles mêmes, mais ne regarde pas la société.)

    L’interdiction du maire de Cannes n’est qu’un échelon d’une dangereuse escalade, qui rogne chaque jour davantage les libertés : le maire de Le Pennes-Mirabeau dans les Bouches du Rhône a annulé une transaction entre deux personnes privées sous le prétexte de « trouble à l’ordre public ». L’association culturelle et sportive pour les femmes et les enfants « Smile 13 » avait loué pour une journée l’espace aquatique « Speed Water Park ». L’invitation à cette journée recommandait aux dames de ne pas porter de maillot deux- pièces, et de respecter une tenue vestimentaire correcte, le minimum étant le maillot une pièce, vu la présence sur le site d’employés de sexe masculin. Cette simple mention sur l’invitation a été vue comme un brûlot et la journée annulée par le maire…La déception d’enfants qui comptaient venir s’amuser dans l’eau avec leurs mamans ne semble pas avoir pesé bien lourd dans la balance.

    Cela ne rappelle t-il pas quelque peu les enfants juifs interdits de square entre 1942 et 1945 ?… Car enfin si ce tourbillon d’interdictions ridicules et hystériques se poursuit, les personnes musulmanes- et françaises pour la plus part- seront carrément éliminées de l’espace public.

    Encore une fois, il n’appartient pas à l’Etat laïc de se mêler de religion, et de décider qu’une tendance ou une interprétation d’une religion est erronée ou illicite.

    Que devons nous faire ? Tous porter une étoile verte par solidarité ? Toutes descendre à la plage dans divers costumes fantaisistes : maillots de bain des années 30 avec jupette et leggings ; tunique et turban, robes longues ?....Mais aussi paréos et topless, bref toute la gamme des parties de leur corps que les femmes veulent ou ne veulent pas montrer selon leurs envies et leurs convictions. Habillée si je veux, déshabillée si je veux !

    Nous ne devons pas laisser s’installer un racisme d’Etat qui ne dit pas son nom.

    Nous ne pouvons pas opposer les cultures les unes aux autres, et les hiérarchiser.

    Sinon, la triste réalité de la circulation des idéologies terroristes nous rattrapera, et elle aura atteint son but : diviser les français, faire régner l’irrationnel, et recruter des humiliés avides de vengeance.

     

    Michelle .C. DROUAULT

     

     

    * Trois femmes ont déjà été verbalisées, dont une de 57 ans…celles qui se baignaient habillées ont été « rappelées à l’ordre » : une police des mœurs à la française, faisant pendant à celle de l’Iran, où on est , au contraire, sommées de se couvrir ?

     

     

     

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    LEVY
    Mardi 30 Août 2016 à 17:36

    Le déroulé de cet article ne donne à lire - avec bonheur ! - que l'énoncé des jugements de bon sens et des positions humanistes qu'il importe d'opposer à ces arrêtés d'interdiction. En observant toutefois que la mention de la Grande Bretagne, et du fait que les fonctionnaires peuvent y porter le turban sikh, ou un discret hidjab, n'a pas être prise comme un plaidoyer en faveur de ce modèle et de sa supériorité sur le droit français de la laïcité. Simplement, me semble-t-il, parce que la "laïcité à la française" forme une réponse, au total très remarquablement équilibrée et ajustée, à des données historiques propres à notre pays, données accumulées depuis la Réforme et configurées suivant le type d'affrontements que les luttes civiles sur fond religieux ont nourri. Des données dont il découlait sans doute que la neutralité confessionnelle de l'Etat, y compris dans la rigueur de ses normes pour les agents de la République, dans les bâtiments publics et sur le terrain particulier de l'école, constituait le seul moyen de garantir la paix civile en même temps que la liberté et le pluralisme des cultes et que le plein exercice par les citoyens de la liberté de conscience et de conviction. Toute façon de dire que notre laïcité est pour nous, et d'abord eu égard à notre Histoire, un bien inappréciable. La concorde civique qui s'est lentement construite autour d'elle - sans cesser d'être fragile (on pense ici, en dernier lieu, aux manifestants "pour tous" et à leur mobilisation pour que la loi de la République s'aligne sur l'enseignement d'une institution cultuelle) - démontre la justesse des vues de ses concepteurs. Au point qu'il ne paraît pas exagéré d'affirmer, paraphrasant Georges Clemenceau, que la laïcité "est une bloc". Ce qui permet aussi de l'opposer à quiconque la détourne en leur intimant de se conformer au principe républicain qui la porte : "Toute la laïcité, mais rien que la laïcité". Didier LEVY

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