• LES VOILES SE DÉCHIRENT

     La révolte des Iraniennes après le décès de Masha Amini, tuée à la suite de brutalités policières pour un foulard mal ajusté, a provoqué  l’admiration et une immense vague de solidarité internationale. Les femmes iraniennes ont été le fer de lance d’un véritable épisode révolutionnaire qui continue à embraser tout le pays, las d’une dictature religieuse qui dure depuis 42 ans.

    C’est une révolution populaire, et féministe dans le sens où pour une fois, ce sont les hommes qui ont rejoint le mouvement des femmes. De nombreux jeunes hommes ont d’ailleurs payé de leur vie d’avoir manifesté, ou protégé des manifestantes.

    C’est tous les jours que sont relayées les images de jeunes filles et femmes de tous âges qui se montrent fièrement, la tête découverte, au risque de leur vie ; toute une jeunesse dans les Universités qui crie sa colère de voir sa vie et son avenir confisqués par des normes religieuses rigides, et parfois inventées pour mieux contrôler la population. Les minorités ethniques et religieuses, elles aussi opprimées, réclament leurs droits.

     

    Cependant en France, une petite musique dissonante s’est fait entendre : la polémique sur « le voile » a resurgi telle un irritant serpent de mer.

    Devant la culpabilisation fanatique de celles qui oseraient encore se couvrir la tête de ce côté du monde, nous avons été nombreux (ses) à affirmer qu’il n’existait aucune contradiction à soutenir la lutte des femmes en Iran, et protéger le droit de porter un voile ou non, en France comme ailleurs. Dicter aux femmes ce qu’elles doivent porter est liberticide sous toutes les latitudes. Notons d’ailleurs que le régime du Shah d’Iran, renversé par la première révolution de 1979,* avait lui interdit strictement le port du voile dans un but d’ »occidentalisation » du pays, sous peine d’une répression féroce.

    En Iran, la police actuelle tue celles qui brûlent leur voile.

    En France, celles qui le portent subissent souvent vexations et discriminations. 

    Avant de poursuivre, précisons qu’aucune comparaison ne peut évidemment être établie entre la répression meurtrière d’une dictature, et de simples discriminations ou humiliations ; mais celles-ci sont pourtant bien réelles, et l’Histoire a prouvé que de petites stigmatisations pouvaient en amener de bien plus grandes et plus dangereuses.

     

    Suite aux fameux « arrêtés anti-burkini », il est arrivé que des policiers mal informés s’érigent en « police des mœurs » et importunent ou verbalisent sans discernement sur les plages des femmes qu’ils estimaient trop couvertes(leggings, tunique, turban).Il a fallu que certaines assignent les municipalités en tribunal administratif pour obtenir le remboursement des amendes, estimées injustes.

     

    Une circulaire récente de l’Education Nationale sur les « signes religieux par destination » a laissé les enseignants bien perplexes : il leur appartenait, d’après le ministre, de surveiller  les jupes longues et les robes trop amples des jeunes filles, pour voir si elles les « portaient régulièrement », ainsi que les bandanas ne laissant pas voir les cheveux….

    Pourtant la loi est la loi : sont interdits à l’école les signes religieux ostensibles et identifiables(kippa, croix visible, voile).

    Un précédent ministre, lui, avait fustigé les « crop-tops » de certaines jeunes filles(débardeurs laissant voir une partie du ventre) comme étant de nature à distraire et déconcentrer les garçons…

    Déjà éprouvés par une situation difficile de personnels réduits et de classes surchargées, les enseignants ont réclamé des directives claires…qui ne sont pas venues ! 

    On voit ici que le corps des femmes et des filles est partout un enjeu, une sorte de champ de bataille sur lequel s’affrontent des idéologies parfois contradictoires, et des logiques d’injonctions que les intéressées peuvent trouver absurdes.

    Ainsi, des vêtement dissimulant trop les formes ou les cheveux pourraient vous faire soupçonner de bigoterie, mais arborer des tenues ultra-légères serait également suspect de…provocation envers le sexe opposé.

    Sur ce second argument, l’Education Nationale se rend elle compte qu’elle s’aligne sur les mollahs et talibans divers ? les filles seraient responsables des pulsions des garçons, et il serait de leur responsabilité de ne pas les réveiller ??

    Car enfin, la question n’est jamais posée de savoir en quoi le port de robes amples et de bandanas , ou au contraire de débardeurs minimalistes, nuit à la scolarité des JEUNES FILLES. A leurs résultats, leurs progrès, leur avenir ? Il n’est question que de la « liberté » d’étudier sans être distraits des garçons, et de la peur des adultes de l’influence d’éventuels alliés des terroristes islamistes, conduisant à des « radicalisations » de jeunes.

    On m’objectera que cette crainte est légitime. Certes.

    Néanmoins, la dimension de tâtonnement et de recherche d’affirmation de soi des adolescents des deux sexes, paraît ici totalement ignorée.

    Ces costumes mystérieux (hijab, abaya) sont ressentis comme la marque d’une appartenance secrète à un groupe se positionnant contre l’ordre établi, réprouvé comme « immoral ».

    Les révoltes de jeunes contre la guerre au Vietnam, l’impérialisme, l’injustice sociale passaient aussi par des signes d’apparence physique emblématiques(cheveux longs des garçons ; abandon des marqueurs de féminité classiques pour les filles ; symbole de la paix) ET parfois des adhésions à des idéologies qui se sont révélées totalitaires( maoïsme, communisme albanais, extrème gauche radicale allemande ou italienne).

    Les idéologues et militants des islamismes radicaux , comme des mouvances antérieures citées, savent faire appel aux idéaux de générosité, de justice , de droiture des adolescents et jeunes adultes.

    C’est l’accent mis sur l’inaction de l’Occident face aux exactions de Bachar El Assad, et l’appel à l’aide humanitaire qui a précipité beaucoup de jeunes filles dans un départ en Syrie.

    Mais la réponse des adultes tutélaires doit elle être la répression et la persécution, y compris en passant outre la loi ?(certains proviseurs auraient réclamé la surveillance des tenues portées hors cadre scolaire !) Quelle crédibilité ont des adultes qui ne respectent pas leurs propres lois ? Il me semble que harceler les jeunes filles sur le port du voile ou d’autres codes vestimentaires ne peut que conduire à des replis et fractures contraires aux buts recherchés.

    L’éducation civique, l’enseignement bien documenté de l’Histoire des religions, accompagnant la ré-explicitation des lois de 1905 et de 2004, paraîtraient plus appropriés.

     

    Plus récemment encore, une pédiatre d’un hôpital public en fonction depuis plusieurs années, exprimait sur les réseaux sociaux son épuisement, son angoisse devant la mise en danger de jeunes patients faute de personnels. Elle relatait effectuer le travail d’environ 6 à 7 soignants.

    Parallèlement, un groupe de ses confrères demandait à être reçu à l’Elysée pour évoquer ce même effondrement des services pédiatriques français, et demander des actions urgentes.

    Les internautes, en majorité, n’ont vu que le voile de cette médecin.  Elle en porte un effectivement, la vidéo ayant été réalisée hors des murs de l’hôpital. Elle a été invectivée, et non pas remerciée pour tous les enfants qu’elle a sauvés.

    On en reste abasourdie.

     

    Cette obsession française est hautement dommageable.

    Au « vivre ensemble ». A la notion de liberté dans une démocratie.

    Qui ne doit pas être à géométrie variable.

    Voici plus de trente ans, dans une vidéo magnifique d’humanité, Gisèle Halimi expliquait à une opposante « anti-IVG » qu’elle –même n’était nullement « pour «  l’avortement (qui l’est ?)mais que son combat était justement pour que son interlocutrice puisse avoir cette liberté, d’interrompre une grossesse si jamais elle ne pouvait l’assumer.

    Les démocrates en France ne sont pas « pour » le voile, mais pour la liberté d’avoir la tête couverte ou découverte.

    Il ne s’agit pas de « relativisme culturel », comme ont accusé certaines : certaines pratiques comme les mutilations génitales, sont condamnables en elles-mêmes vu la souffrance qu’elles infligent, souvent à vie. Un accessoire vestimentaire se met et se retire. Ce qui fait souffrir est la contrainte sur le corps.

    Des féministes françaises ont déclaré que le hijab était en lui même un symbole d’oppression patriarcale, et estimé que toutes les femmes qui le portaient étaient « aliénées ».

    Elles ont maintenu leur position même après que des sociologues (Eric Fassin, entre autres) aient tenté d’expliquer dans plusieurs tribunes qu’avoir une grille de lecture indépendante du contexte d’un phénomène, et du lieu où il existait, était absurde.

    Si on suit la logique des oukases de ces « féministes », faudra t il arracher leur voile aux réfugiées Ouïghoures au motif de cette « aliénation », alors qu’elles ont été internées dans des camps de travail forcé en raison de leur appartenance à la confession musulmane, leur causant une humiliation supplémentaire ?

    Des journalistes iraniens exilés ont d’ailleurs confirmé que le hijab obligatoire n’était qu’un des éléments de l’oppression du régime actuel, et que supprimer cette disposition(comme l’ont proposé assez rapidement des mollahs réformateurs au début des manifestations) ne ferait pas disparaître miraculeusement l’emprise d’un ordre religieux qui veut réglementer jusqu’à la vie privée des citoyens.* Des femmes voilées ont aussi manifesté contre le régime, ont ils dit, ce qu’elles réclament est la liberté, et une vie meilleure, car  le peuple iranien vit dans une grande pauvreté.

     

    Nous appelons de nos vœux une société française où l’analyse critique ferait son retour, remplaçant les sempiternels chocs idéologiques-qui n’est pas pour moi est contre moi- qui font fi de la complexité de la vie et de l’évolution des groupes humains.

    Est ce pour demain ?

     

     

    Michelle C. DROUAULT

     

    Note* 1  révolution confisquée par les islamistes.

     

    * 2 il est d’ailleurs étrange que les mêmes personnes qui trouvent odieuse la propension des clercs catholiques à rentrer dans les chambres à coucher par des prescriptions sur la vie intime des couples, ne saisissent pas toujours cet enjeu fondamental.

     


  • Commentaires

    1
    LEVY
    Lundi 7 Novembre 2022 à 19:09

    Magnifique plaidoyer pour l'intelligence. C'est à dire en défens contre la somme des obscurantismes qui assènent leurs rejets et leurs obsessions d'interdire et de condamner au détriment de l'esprit démocratique. Lequel, à force d'être ignoré, malmené et combattu, risque de finir par s'effacer dans les sociétés mêmes où il a vu le jour.

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