• Mariages forcés, si loin si proche.

     

     

    En Septembre dernier, les internautes norvégiens ont pu découvrir un blog bien insolite :

    Tout en rose et blanc, c’est celui de THÉA, 12 ans, qui annonce « Je m’appelle Théa, j’ai douze ans, et je vais me marier dans un mois ! »

    Suivent des photos des préparatifs, qui semblent amuser et émerveiller l’héroïne : bague de fiançailles, alliance, bijoux, maquillage, essayages de la robe de mariée, faire parts….c’est là que le malaise s’installe : le futur marié, GEIR, est âgé de 37 ans, et Théa ne le connaît pas, elle ne l’a encore jamais rencontré ; elle a juste vu des photos.

    Entre les pages euphoriques, se glissent des questions inquiétantes : Théa n’aura plus besoin d’aller à l’école, ni de travailler plus tard : son mari gagne assez d’argent pour deux….bien sûr, elle devra dormir avec lui : devra-t-elle avoir des relations sexuelles avec lui ?.. pour le moment, elle dort avec une peluche !.Suit le catalogue de lingerie « sexy » pour la nuit de noces, que la jeune fille dit consulter, et nous voilà de plus en plus mal à l’aise.

    Enfin, voici la vidéo du mariage à l’église. La petite mariée de douze ans entre, tremblante, seule dans l’église où son mari l’attend à côté du prêtre.

    Mais au dernier moment, lorsque celui-ci lui demande si elle veut bien prendre pour époux Geir, Théa secoue la tête et répond : « Non ! »

     La caméra se dirige alors vers l’assistance : des manifestants brandissent des pancartes »NON AUX MARIAGES FORCÉS ! » : Il s’agit d’un vrai-faux mariage.

     Les fiancés sont en fait une apprentie comédienne et un membre d’une ONG, qui ont accepté de jouer le jeu pour mobiliser le public. Car tant que la supercherie n’était pas découverte, les norvégiens se sont réellement mobilisés pour arrêter ce mariage ; un hash tag « stop the wedding » s’était même créé.

    Cette campagne intervient après le court film réalisé par Lisa Azuelos  à l’occasion du 8 Mars 2014 :« 14 millions de cris ».

     Julie Gayet y joue un rôle peu gratifiant : celui de la mère d’une petite française de douze ans Emma, qui rentre de l’école pour être mariée contre son gré à un sexagénaire, avec la complicité de tous les invités. Le film s’achève dans l’horreur d’un viol qu’on devine.

    Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, ce sont en effet 14, 2 millions de jeunes filles par an qui sont mariées de force avant leurs 18 ans dans le monde.

     

    Fallait il montrer des fillettes occidentales pour être sûrs de sensibiliser le public européen à la réalité que recouvrent les mariages forcés en Afrique du Nord, de l’Ouest, au Moyen Orient … ? Oui, disent les militants ; tant que cela se passe ailleurs, on se réfugie derrière la « culture », la « différence », pour ne pas voir que des fillettes ne sont pas des femmes.

    Elles peuvent être biologiquement pubères, mais n’ont ni la capacité physique, ni la capacité psychique de supporter des relations sexuelles, dont elles ignorent tout et qu’elles ne désirent pas, et des grossesses, qui meurtrissent leurs corps ou peuvent les conduire à la mort.

    Au Yémen, une fillette de douze ans enceinte est morte après trois jours de travail et de douleurs, faute de prise en charge par des personnes compétentes.

    Non, un tel subterfuge n’était pas nécessaire, répondent d’autres personnes : notre capacité d’identification est elle si faible ?

    Les mariages forcés existent aussi en Europe. Ils concernent des filles majeures ou mineures, et ont lieu sur le territoire des pays européens, ou dans le pays d’origine.

    La fondation suisse « SURGIR » a recensé en 2006 1700 mariages forcés sur le territoire helvétique. (Source : journal »Le Temps » du 17/ 12/ 06) Certaines jeunes filles avaient la nationalité suisse, et appartenaient à la deuxième génération de migrants.*

     1/3 avaient entre 13 et 18 ans, 2/3 entre 18 et 30 ans. Seules 6 d’entre elles ont accepté de témoigner. Les services judiciaires et sociaux semblent s’être trouvés démunis devant ce phénomène, dont ils n’avaient mesuré ni l’ampleur, ni les rouages. Ils ont tenté d’établir la frontière difficile entre mariage arrangé et forcé.

     La conclusion qui s’est imposée est qu’un mariage forcé est un mariage auquel il est impossible d’échapper.

    Certains hommes subissent aussi des mariages arrangés sous pression, mais les conséquences sur leur santé, leur corps et leur psychisme sont moins dramatiques. Même lorsqu’un mariage forcé n’a finalement pas lieu, le stress émotionnel encouru par la victime est immense, car elle a eu peur pour son intégrité physique.

    Nous avons visionné et lu beaucoup d’enquêtes sur les mariages forcés, après avoir reçu dans un cadre professionnel nombre de femmes et de jeunes filles concernées.

    Ces mariages ne peuvent se produire que dans un contexte de total manque d’autonomie des filles ainsi fiancées. Quel que soit leur milieu de vie, elles sont conditionnées à ne pas prendre de décisions pour elles mêmes, à ne pas élaborer de projet de vie personnel, à obéir.

    Celles qui ont la force de se rebeller sont menacées de mort par leur père, leur frère, leur oncle. Ce sont les hommes de la famille qui semblent avoir intérêt à ces mariages. Ils sont souvent conclus pour honorer une dette, financière ou morale.

    En Europe, les hommes n’ont aucune hésitation à essayer de venir retrouver et harceler les filles dans les structures d’accueil où les dirigent les services sociaux.

    Les fiancées contraintes peuvent être originaires d’ex-Yougoslavie, de Roumanie, de Lituanie, de Turquie.

    Les parents peuvent « jouer le jeu » de la scolarité obligatoire, ou de l’âge légal du mariage à la majorité comme en France, mais c’est uniquement un minimum, honoré par peur de représailles des pouvoirs publics.

    Alors, est ce vraiment si éloigné ?

     

    Contrairement à ce que croit l’opinion publique, la religion n’a pas grand chose à voir avec les mariages forcés.* Il s’agit de TRADITIONS, extrêmement anciennes, parfois ante-islamiques ou chrétiennes, mais qui perdurent car elles maintiennent la domination masculine.

    Même quand ils sont interdits par la loi, ces mariages persistent.

    En Ethiopie, des chrétiens marient leurs filles dés quatorze ans.

    Au Kyrgyztan, ancienne république soviétique, la pratique des enlèvements et kidnappings pour épouser une fille, vient de la tribu des Manas.

     Elle a fait un retour en fanfare après la chute du communisme. Le Kyrgyztan est musulman, et les imams disent eux mêmes que ces mœurs violent l’Islam, et violent la loi. (ce serait pour enrayer ce genre de pratique que le Prophète aurait réglementé le mariage) Beaucoup de jeunes femmes ainsi mariées se suicident. Mais on ne parvient pas à éradiquer cette coutume.

    La situation est plus complexe qu’il n’y paraît : il s’agit souvent d’une mise en scène, où chacun tremble de ne pas assumer son rôle : la jeune fille sait très bien qui va venir l’enlever, et quel jour ; la fête est déjà préparée chez les parents du garçon. Mais il y va de son honneur, de sa réputation de « pureté » de se débattre et de crier, de refuser plusieurs fois de mettre le foulard de mariée que lui passe sa belle-mère, pour finir par céder. De même , le garçon a peur que les camarades qui procèdent à l’enlèvement pour lui ne soient trop violents.

    Personne n’est heureux, mais on se cramponne à cette tradition.

    Enfin, en Inde, les mariages d’enfants sont illégaux, mais ils continuent. La police peut intervenir, mais si elle le fait, les familles ont stigmatisées pour plusieurs générations.

     C’est également ce qu’expliquent des policiers afghans ; est ce la solution, demandent ils ? (reportage du « National Geographic » par Stéphanie Sinclair et Cynthia Gowney)

     

    Changer les mentalités est très long, cependant des millions de fillettes et de jeunes filles sont exclues par un mariage précoce de l’éducation et du savoir, de l’autonomie et de la possibilité d’un métier.

    Il s’agit d’un cercle vicieux : en raison de ces mariages précoces, il n’existe pas de professeures femmes qui puissent assurer l’enseignement dans certaines régions, aussi les filles ne vont pas à l’école. Et leur seul avenir est le mariage.

    Des campagnes audio visuelles comme celles que nous avons citées sont nécessaires pour que le monde entier comprenne que les femmes ne sont pas des sous-êtres humains, et qu’elles ont droit à l’enfance.

     

     

    Michelle .C. DROUAULT

     

    2 liens :

    http://theasbryllup.blogg.no

    http://www.lepoint.fr/culture/video-julie-gayet-dans-un-film-bouleversant-pour-la-journee-de-la-femme-07-03-2014-1798566_3.php

     

     

    Notes

     *1 les mariages de mineures étaient coutumiers, et avaient été conclus hors territoire suisse, à l’occasion de vacances. Néanmoins, la victime était obligée de cohabiter avec son « époux », le mariage civil étant prévu à sa majorité.

     

    *2

     

    certains théoriciens d’un Islam fondamentaliste mettent en avant le mariage du Prophète avec Aïcha, qui n’aurait eu que 9 ans…..mais aussi celui du même Prophète avec Khadidja, qui avait 15 ans de plus que lui ; pour dire que le mariage ne doit pas connaitre de limites d’âge.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :