• Terriens : ni anges, ni dieux !

     Notre invitée est aujourd’hui Blandine de Dinechin, qui nous livre son commentaire d’un article du philosophe Michel Serres.

    Pour suivre, vous trouverez le commentaire du blog, car nous ne souscrivons pas totalement à la perception de l’auteure.

    TERRIENS : NI ANGES, NI DIEUX !

    Dans  un article séduisant et terriblement réducteur publié dans la revue « Etudes » de février 2013, Michel Serres  propose une lecture subtile de la filiation de Jésus pour justifier le projet de loi sur le mariage et l’adoption par des couples homosexuels. Aérien spiritualiste, Michel Serres s'appuie sur «  la saine famille »  et sur l'Immaculée Conception pour nous faire approuver certaines revendications homosexuelles d'accès à la parentalité par tous les moyens.

    Or ces personnes continuent d'oublier, de façon sidérante,  la différence de notre condition corporelle. Tellement évidente, elle les ennuie. Michel Serres se trouve plutôt dans les nuages et le sexe des anges. Les autres, au nom de l'absence d'hormones de la fibre maternelle, ce qui peut s’entendre, dénigrent la corporéité féminine et nous offrent aussi une vision ultra -désincarnée de l'existence.

    Pour éviter confusion et idéalisation, il est urgent de rappeler, à temps et à contre temps, que la contraception hormonale ; la grossesse ; l'interruption médicale de grossesse ; l'interruption volontaire de grossesse ; l'accouchement ; la stimulation ovarienne et l'insémination, la ponction ovocytaire comme la gestation pour autrui, c'est pour les femmes ! De fait, les hommes ne connaissent rien de tout cela dans leur corps, et continuent de parler SUR ce qu’ils ne connaissent pas.

     

    Plus qu’aux idéologues, j'en veux à la pente céleste empruntée par Michel Serres lorsqu'il utilise le dogme récent de l'Immaculée Conception pour brouiller les pistes. En effet, ce dogme a  été largement utilisé dans l’Église catholique pour justifier chez certains un regard désincarné sur la sexualité. Ayant un Père à suivre et une Mère à vénérer,  nombre de nos amis prêtres célibataires ont sublimé ainsi, quand ils y parvenaient, leur condition sexuée. S'arrêtant au stade pré pubertaire, ils ont emmené dans leur sillage nombre de couples chrétiens invités à vivre une chasteté qui aurait pu leur faire croire en l'absence de leurs pulsions sexuelles. Et d’ailleurs, ne fallait-il pas viser le Ciel parce que, sur terre, rien ne serait au fond très bon à vivre ? Selon cette logique pour le moins dangereuse, nous sommes et nous restons indéfiniment des « fils » et des « filles », voire des « frères » et des « sœurs », conduits à une inévitable infantilisation dans la grande famille catholique, pas plus saine en ce cas que l’infantilisation des affiliés à une idéologie. N'avons-nous pas plutôt tous, comme je le pense, à vivre en adultes avec des adultes, hommes et femmes debout dans la confrontation créative à la différence des sexes? ***

     

    La spiritualité évanescente de Michel Serres est prête à nous faire oublier que la fameuse phrase de saint Paul, "il n'y a plus ni homme ni femme, ni juif ni grec...", est à lire comme une invitation à percevoir le message universel de la Bonne Nouvelle et non pas du tout comme une injonction à sacraliser le gommage de notre différence sexuelle ou culturelle. Pourquoi chercher à « nous arracher à nos déterminismes » au forceps, selon la volonté d’une ministre ; ou selon l’approche éthérée et finalement similaire de Michel Serres et de certains clercs ? Terrible constat de la loi du marché : le marketing de la procréation s’est remarquablement emparé des symboles religieux auxquels les uns se rattachent et que d’autres incriminent. Ainsi le site  « Extraordinary conceptions »  vante la création d’une « agence internationale du don d’ovocytes et de la gestation pour autrui ». Que peuvent alors nos lois nationales pour résister à un tel trafic ?

     

    Dans ce contexte mondial de marchandisation du corps, venant toucher les femmes en premier lieu, il n'y a rien d'archaïque à souligner que la filiation biologique,( y compris pour les personnes conçues par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur) est constitutive de notre être au monde, ni à rappeler que, conçus par un homme et une femme singuliers - parce que nous ne sommes pas des dieux - et portés par une femme singulière –parce que nous ne sommes pas des anges-, nous avons de ce fait une histoire hautement singulière, dont nous pouvons certes chercher à nous dégager mais à laquelle nous retournons encore plus violemment quand nous faisons mine de l'ignorer.

    La très légitime lutte contre l’homophobie irait-elle finalement de pair avec une maltraitance étatique des couples hétérosexuels, et avec une promotion du « baby business »  où l’horloge biologique et  notre insertion dans une histoire sexuée pourraient s’effacer? Pollués par une tentation de pensée unique ravageuse, conçus sous la couette par un homme et une femme, nous devenons plus que jamais des "sans voix" car interdits de vraie parole ; des "démunis" car sans armes pour résister à la déferlante, de pauvres hères incapables, nous dira-t-on, de nous élever dans les hautes sphères de la filiation divine comme de la filiation anonyme. Et pourtant, « exilés sur le sol au milieu des huées » tels l’Albatros de Baudelaire, n'est-ce pas dans notre condition enracinée de terriens et terriennes que nous puisons notre énergie vitale de résistance aux démiurges de tous poils?

     

    Blandine de Dinechin

     


  • Commentaires

    1
    Jeunet
    Mercredi 20 Février 2013 à 23:04

    De mon point de vue, je trouve l'article de Michel Serres intéressant. L’auteur a raison de dire que le christianisme a introduit un ferment de libération des liens familiaux, qui sont dans beaucoup de cultures et de religions sources d'enfermement, voire de crimes. Ainsi Rome a eu raison de refuser d’introduire le culte des ancêtres. Encore actuellement dans des pays comme Madagascar, ce lien aux ancêtres véhicule de la peur, la peur que les ancêtres se vengent sur les vivants si on ne les a pas honorés. En introduisant ce ferment de libération des liens familiaux de personnes vivantes ou mortes, le christianisme donne la primauté à la personne. D’autre part en introduisant, le célibat comme une autre voie possible, il libère l'individu de l'obligation du mariage et de la procréation, donc fait du mariage, un acte libre et plus un destin ( voir l'infamie de ne pas avoir d'enfant qu'on trouve chez Elisabeth au début de l'Evangile de Jean par exemple) Dans le texte de Blandine de Dinechin, je tiens à corriger une confusion-malheureusement courante-entre l’Immaculée Conception de Marie, et la conception virginale de Jésus. L’immaculée conception de Marie signifie ceci : ses parents, Joachim et Anne ont eu des relations sexuelles pour qu’elle naisse. Cette naissance n’a aucun caractère miraculeux. Mais elle bénéficie d’une grâce spéciale : elle est née sans la tache du péché originel, elle en a été préservée. ( ce qui est très intéressant : cela veut dire que ce n’est pas la relation sexuelle qui transmet le pêché originel, thèse soutenue par St Augustin et contestée par St Thomas d’Aquin.) La conception virginale de Jésus signifie que Marie a conçu Jésus sans relation sexuelle avec Joseph mais par l’action de Dieu. C’est ce dogme là qui a pu conduire à mésestimer la relation sexuelle. Cependant ce qui est visé pour la foi, n’est pas de cet ordre : il s’agit, par cette naissance miraculeuse, d’affirmer que Jésus est vrai homme par Marie, vrai Dieu par L’Esprit Saint. Michèle Jeunet

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :