• Interruption de grossesse: l'enjeu du ventre des femmes

    Pendant qu’une « Femen » a mimé un avortement dans l’église de la Madeleine à Paris, suscitant réprobation et polémique, un député espagnol veut mener une « croisade européenne contre l’avortement ».

    Le débat semble aujourd’hui miné…

    L’Espagne veut modifier sa législation sur l’Interruption Volontaire de Grossesse dans un sens restrictif.

    A compter de la promulgation de la nouvelle loi si elle est votée, seules seront autorisées les IVG pour cause de danger pour la vie ou la santé de la mère ; de viol ; ou de malformation fœtale grave.

    En cas de viol, la femme (ou la fillette ??) doit avoir porté plainte.

    On comprend les organisations féministes d’avoir vigoureusement protesté contre ce « minimum humanitaire », qui ne tient aucun compte, encore une fois, du vécu des femmes et des filles.

     

    Notre cher archevêque de Grenade y serait il pour quelque chose ?

    Avant de poser cette question, il convient d’interroger l’historique de l’avortement en Espagne.

    Totalement proscrit sous le franquisme, l’avortement est devenu une « exception  légale » en 1985, sous le régime de monarchie parlementaire mis en place.

     C’est à dire qu’à ce socle de base (exception à l’interdiction dans les cas extrêmes) a été ajouté le danger pour la santé psychologique de la mère ; ce qui équivaut à des possibilités semblables à celles de la majorité des pays d’Europe (Irlande et Malte excepté).

    Cependant, il existait alors un vide juridique : si des délais sont obligatoires pour le viol et les malformations fœtales (12 semaines), il n’y en a pas lorsque la santé physique ou psychologique de la mère est menacée. Cette législation a été reconduite en 2004.

    En 2010, le gouvernement socialiste de J. Rodriguez Zapatero estime que la loi est hypocrite : dans 90% des cas, c’est la « détresse psychique » qui est invoquée, et acceptée par la commission médicale. Aussi, le Parlement promulgue une loi qui autorise l’IVG pour toutes les femmes qui en font la demande (y compris les mineures d’au moins 16 ans sans avis parental) quelles qu’en soient les raisons, DANS UN DÉLAI DE 14 SEMAINES MAXIMUM.

    Le scandale des cliniques de Barcelone accusées de pratiquer des IVG à des termes excessivement tardifs sur des bébés qui seraient nés viables, n’a sûrement pas été étranger à l’esprit cette loi.*1

    Le résultat n’est pas celui auquel s’attendaient les opposants : le nombre d’IVG a diminué de 4000 dans l’année qui a suivi ; et il est toujours en baisse.

    Aussi le gouvernement de droite (Parti Populaire) de Mariano Rajoy ne peut actuellement se targuer d’une explosion des IVG pour changer la législation !

    La plus part des observateurs s’accordent sur le constat qu’il veut surtout s’assurer une base d’électorat conservateur, en rompant systématiquement avec toutes les mesures emblématiques du gouvernement précédent. On peut par ailleurs compter à l’actif des socialistes espagnols une réduction spectaculaire de la violence conjugale grâce à des mesures énergiques qui allient protection des femmes et pénalisation des violences. Ces mesures-phares ont souvent été citées comme modèles dans d’autres démocraties européennes pour s’en inspirer. Vont- elles être abrogées ?

     

    La démographie est elle en cause ? Certes, la démographie espagnole est en berne. Rien de moins étonnant dans un pays où a sévi jusqu’il y a peu une crise économique et sociale sans précédent, obligeant certains citoyens ibériques à s’expatrier jusqu’au Maroc pour retrouver un travail décent. S’abstenir de devenir parents dans un tel cadre serait plutôt une preuve de responsabilité !

    Toutes les études économiques européennes concordent : ce qui incite les femmes à avoir des enfants, c’est le fait d’avoir elles mêmes un travail stable (c’est le travail de la mère qui protège les enfants de la misère : il assure des revenus dans la famille si le père perd son emploi), et de bénéficier de modes de garde efficients. Si la France et la Suède sont les meilleures élèves de l’Europe en matière démographique, c’est parce que l’emploi des femmes à temps plein et les équipements collectifs en corollaire sont des constantes.

    Interdire l’avortement ne sert à rien : les femmes qui ne veulent pas d’enfant, et deviennent enceintes par accident, ne leur donneront pas naissance. Elles iront à l’étranger, ou, pour les plus pauvres, se tourneront à nouveau vers des moyens de fortune parfois mortels. La mortalité des femmes par avortement clandestin dans certains pays d’Amérique Latine est considérable : cela n’accroit pas la démographie !

    Le ventre des femmes est donc bien, perpétuellement, un enjeu politique, un terrain de lutte idéologique, où leur bien-être, leur santé et leur dignité passent à la trappe.

     

    Cependant, nous nous sommes intéressées à la position vis à vis de

    l’ avortement des différentes cultures, au fil des siècles. Les religions sont elles vraiment les facteurs principaux de répression de cet acte, même lorsqu’il semble la seule solution sensée ?

     

    Dans l’introduction de leur ouvrage remarquable dont nous conseillons la lecture exhaustive (« Histoire de l’avortement, XIX/ XXème siècle » éditions du Seuil, 2003) Catherine VALENTI et Jean-Yves LE NAOUR précisent que l’attitude des civilisations de l’Antiquité, par exemple, a surtout été l’indifférence : que ce soient par les grecs et les romains, ou encore les assyriens ou les babyloniens, si l’avortement était condamné, c’était uniquement parce qu’il constituait une atteinte aux droits du mari et père, qui avait seul droit de vie et de mort sur sa famille. Un père pouvait décider de laisser mourir son enfant à la naissance, personne n’y trouvait à redire ! Et si un avortement était effectué sur son ordre, il n’était pas condamné.

    Chez les Egyptiens et les Hébreux, les textes sont muets sur la question.

    Paradoxalement, le christianisme qui paraît maintenant si patriarcal, a été la première religion à contester le pouvoir absolu des maris et pères, en affirmant le caractère sacré de tout être humain.

    Le problème principal de l’avortement résidait dans le fait qu’une « âme » soit privée de baptême, mais à partir de quand le fœtus était il « animé » ?

    Les mêmes auteurs indiquent que s’inspirant d’Aristote, selon lequel l ‘animation se produisait 40 jours après la conception pour un mâle, 90 pour un embryon femelle ( !), l’Eglise du IVème siècle, embarrassée, prononce une peine de dix ans de pénitence pour les avortées au delà de ce terme…Les excommunications ou pénitences variant de un à dix ans ont ainsi prévalu jusqu’au XVIème siècle, approuvées par les papes.

    En France, le renforcement du pouvoir royal a fait passer l’avortement sous le regard du pouvoir civil, et plus des tribunaux ecclésiastiques.

    Se pose alors une question essentielle qui va perdurer jusqu’au XIX ème siècle : comment différencier un avortement sciemment provoqué d’une fausse couche ?

    Au XVIIIème siècle, la répression est sévèrement critiquée, et la pitié pour les jeunes filles séduites, souvent contre leur gré, et obligées de recourir à l’avortement à cause de la rigidité de la société, prend le pas , même chez les religieux.

    La Révolution de 1789 ne poursuit, dans la Constitution première de 1791, que les avorteurs (20 ans de travaux forcés, tout de même), laissant la femme exempte de toute poursuite.

    Il faut donc attendre Napoléon Ier, parangon de misogynie, pour que le code pénal de 1810, dans son article 317, punisse à la fois les femmes et les avorteurs de manière très sévère.

    Mais l’idée devient alors qu’il s’agit, plus que d’une rébellion éventuelle contre l’autorité maritale, d’un crime contre les intérêts de l’Etat et du pays ; idée qui sera reprise et magnifiée par la loi de 1920, puis par le régime de Vichy.

    De possession du mari, le ventre des femmes passe à bien public à la faveur des deux conflits mondiaux…

    Néanmoins, ce seront des arguments moraux, et non politiques, que médecins traditionalistes et députés conservateurs brandiront dans les années 1860, lorsque les progrès de la médecine poseront le problème de l’avortement thérapeutique. Ils appelleront alors au secours l’Eglise catholique, qui reste évasive, recommande la plus grande circonspection, et bref, se fait tirer l’oreille…car certains théologiens ont exprimé que la vie de la mère était sacrée, et que si celle ci était en danger, le premier devoir du chrétien était de voler au secours de son prochain.

    On dit que le Saint Siège fut « poussé par des médecins plus catholiques que le Pape» (source ibid, Histoire de l’avortement), et de guerre lasse, en 1895, celui-ci promulgue une bulle qui condamne l’avortement. Le problème est que depuis 1871 -date de la bataille pour l’Unité Italienne, comme par hasard-un pape est réputé infaillible…

    En 1930, c’est la catastrophe : toutes les manœuvres abortives sont condamnées par Pie XI, Y COMPRIS celles qui sauveraient la vie de la mère. Le caractère sacré de la vie des femmes disparaît, contre toute évidence humaine et évangélique.

    Le christianisme catholique se démarque complètement du protestantisme, et de l’orthodoxie, qui jugent légitime la préservation de la santé et de la vie d’une mère qui a souvent d’autres enfants. ( En 1970, les statistiques sur les avortements clandestins prouveront que deux tiers des femmes avortées sont mariées et déjà mères de famille.)

    Le catholicisme demeure la religion la plus inhumaine pour les femmes et les familles, éloignant des milliers, voire des millions, de fidèles, puisqu’elle condamne AUSSI la contraception. Mais contrairement à l’idée reçue, il semble que ce ne soit pas l’Eglise qui ait influencé les lois civiles, mais le contraire.

     

    Qu’en est- il des autres monothéismes ?

    Nous avons examiné la position de l’Islam.

    Selon les hadiths prophétiques, un embryon « s’anime »au bout de 120 jours, c’est à dire 20 semaines, d’aménorrhée environ. L’interdiction de l’interruption de grossesse est absolue à partir de ce terme.

    Certaines écoles (les malékites ) datent l’animation au 40ème jour environ de la conception( 7/8 semaines).

    Un grand nombre de théologiens musulmans semblent s’accorder sur la première hypothèse, en citant le 4éme hadith des 40 hadiths de Nawami.

    Si l’Islam affirme lui aussi le caractère sacré de la vie, il admet le « principe de nécessité ».

    C’est à dire qu’une grossesse peut être interrompue « pour une juste cause » :

    -si la vie de la mère est menacée

    -si sa santé physique ou mentale est en danger, ou si elle est handicapée, et ne pourrait supporter la grossesse (hanafites, hanbalites)

    -si elle résulte d’un viol ou d’un inceste,

    - si le fœtus souffre d’une malformation grave.

     

    C’est le choix du moindre mal, « car la perte de la mère est une perte beaucoup plus grande que celle du fœtus(…) la vie de la mère est une réalité, celle du fœtus n’est qu’espérée ».

    Pour les hanafites, l’IVG doit absolument avoir lieu avant que les membres aient commencé à se former, et en cas de nécessité réelle et reconnue.

    Les malékites, beaucoup plus rigoureux, expriment l’interdiction totale de l’IVG depuis le début de la conception SAUF dans les 40 premiers jours, uniquement en cas de raison valable(les mêmes que les autres écoles). Pour eux, l’interdiction prend de l’ampleur au fur et à mesure du développement du fœtus.

    Sont rejetées les interruptions de la grossesse pour raisons économiques (plusieurs recommandations du Prophète), une mésentente de couple, ou-ce qui est intéressant- « le souci de l’opinion publique parce que la naissance aura lieu hors mariage ».

    Il existe de nombreux débats internes à l’Islam, entre croyants et religieux, sur ces sujets, spécialement sur internet.

    C’est ainsi qu’une internaute demandait si un mariage forcé devait être considéré comme un viol ? Nous avons ainsi appris qu’un mariage forcé n’était pas considéré comme valide par l’Islam, et sévèrement proscrit…

    La position islamique est donc beaucoup plus souple et humaine que la position catholique.

    De même l’espacement des naissances est toléré, la méthode étant laissée au choix des croyants, avec une nette préférence pour celles qui empêchent la fécondation, et non la nidation.

    Nous examinerons prochainement les positions du judaïsme, mais en conclusion, peut -on dire que c’est la domination masculine qui colonise les religions ? La question est ouverte.

     

    Michelle. C. Drouault

     

    * 1

    Un médecin péruvien installé en Catalogne, le Dr Morin, s’est mis à pratiquer des avortements jusqu’à 22 semaines d’aménorrhée ou davantage, pour des tarifs allant de 4000 à 6000 euros. Le subterfuge résidait dans de fausses évaluations psychiatriques.

    C’est une journaliste danoise, enceinte de 30 semaines, qui a fait éclater l’affaire : elle avait prétendu demander une IVG sous le prétexte d’une rupture de couple, ce qui avait été accepté

    moyennant une grosse somme.

    L’établissement a été fermé, et le médecin inculpé.

    Alors qu’une quasi perpétuité était requise contre lui, certaines sources affirment qu’il aurait été acquitté ??? Une association catholique s’était porté partie civile, faussant certainement le débat : savoir s’il est un crime de supprimer volontairement la vie d’un fœtus presque à terme sans que quiconque, mère ou enfant, ne soit en danger, et pour un but lucratif, n’est pas une question idéologique, mais humaine et citoyenne.

     

     

     


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