•  MADAME L’ARCHEVÊQUE, UNE TÂCHE IMMENSE….

    Récemment, une nouvelle aussi extraordinaire qu’incongrue est apparue sur les sites d’information : Mme ANNE SOUPA, théologienne catholique et bibliste, co-fondatrice du Comité de la Jupe, pose sa candidature au poste d’archevêque primat des Gaules, poste laissé vacant par le très contesté Mgr Barbarin.*

     

    Saluons tout d’abord ce geste symbolique, signal d’alarme de l’invisibilité des femmes dans l’Eglise.

     

    Comme l’a rappelé l’intéressée dans une émission récente de la chaine Arte, cette invisibilité est d’abord une terrible régression.

    Il suffit de jeter un regard aux siècles passés-particulièrement le haut Moyen Age- pour s’apercevoir du rôle important des femmes dans la vie de l’Eglise.

    Certaines sont devenues des saintes, ou des figures théologiques reconnues.

    Certes , cette reconnaissance officielle a tardé !  Une des plus célèbres d’entre elles, HILDEGARDE VON BINGEN(1098/1179) a été instituée docteur de l’Eglise par Benoit XVI en 2012, soit dix huit siècles plus tard !

    Religieuse bénédictine, Hildegarde Von Bingen a prêché en public( nul ne lui a opposé St Paul, comme le font quelques fondamentalistes pour Mme Soupa !) ; elle a conseillé de nombreux religieux, écrit un ouvrage musical superbe, le Sciviae, dont la pureté étonne encore… elle était aussi « médecienne » (oui, le féminin de médecin existait alors) soignante et guérisseuse.

     

    Plus tard, THÉRÈSE D’AVILA (1515/1582) fille de juifs espagnols convertis au catholicisme, est décrite comme une femme forte, intrépide, radicale, même.

    Entrée dans l’Ordre des Carmes à vingt ans, elle en entreprend la réforme, et en impulse une semblable pour les ordres de religieux hommes. Elle vit des expériences mystiques qu’elle relate et transmet. Ecoutée et considérée, elle contribue à une meilleure vision de la foi par tous.

    Que diraient donc ces deux femmes en voyant des prêtres arrogants écarter des femmes (y compris des religieuses !) de la distribution de la communion, au prétexte qu’elles sont des femmes, c’est à dire un flagrant délit de discrimination pour ce qu’elles SONT ? Un délit basé sur une conception totalement païenne de l’ »impureté » supposée des femmes…

    Dans un discours qui a fait sensation,  la Congressiste américaine ALEXANDRA OCASIO CORTEZ a déclaré que si Jésus poussait les portes du Congrès aujourd’hui, on le traiterait de « radical ».

    Elle a rappelé que depuis des siècles, de nombreuses personnalités religieuses et politiques ont manipulé les Ecritures au service de la bigoterie, la discrimination , et l’injustice.

    C’est à mon sens cette imposture qu’il nous faut dénoncer sans relâche.

    Car comment se fait il que l’Eglise se soit retrouvé être le bras armé du patriarcat ?

    Au service de l’exploitation et l’infériorisation de la moitié de l’Humanité ?

     

    Le geste d’Anne Soupa est un geste symbolique majeur.

    Comme l’était, dans la vie civile, le dépôt de gerbe sur la tombe de l’épouse du Soldat Inconnu à l’Arc de Triomphe en 1971 par le tout neuf Mouvement de Libération des Femmes.

    Une femme encore plus inconnue que lui !

    Les manifestations et gestes symboliques des femmes ces derniers temps ont été multiples :

    « Die-in » de femmes allongées par terre pour dénoncer les féminicides, défilé de militantes fantômatiques portant chacune une pancarte avec le nom d’une victime décédée au cimetière du Montparnasse ; collages d’affiches dénonçant les violences dans toutes les villes.

    Et ces happenings se déroulent aussi dans d’autres pays. 

    Sans oublier « #MeToo » qui a contraint les sociétés à regarder en face la fréquence et le scandale des agressions sexuelles sur les femmes et les enfants…

    Les femmes sont en train d’obliger les hommes à changer.

    En sera-t-il ainsi dans l’Eglise catholique ??

     

    Une question me taraude : à supposer qu’il y ait une femme archevêque, défendrait elle la dignité de toutes les femmes ?

    Je le dis franchement, je doute.

    Je doute parce que le « féminisme catholique » ne semble s’être réveillé que lorsque l’injustice criante faite aux femmes à l’intérieur de l’Eglise est devenue trop visible par rapport au mythe de » l’égalité-déjà-là »* véhiculé par la société civile.

    Je ne me souviens pas d’avoir vu ces femmes lorsque nous luttions pour des salaires équitables, l’arrêt des avortements –boucheries parce qu’illégaux, la diffusion de la contraception, des modes de garde cohérents pour les enfants.

    Seule , la Fédération des Femmes Catholiques est venue débattre avec le MLF, qui n’excluait aucunes femmes, sauf celles d’extrême droite.

    Nous ne les voyons guère(ou à titre individuel) dans les combats actuels.

    La raison de cette absence (ou de cette discrétion ?) me semble être dans le manque d’autonomie des femmes catholiques par rapport à l’Institution. Qui perdure.

    Une des questions fondamentales posées par le Christ à longueur d’Evangile est celle du choix : si obéir à la règle doit causer du mal, et que désobéir va causer le bien, alors nous avons le choix, et notre vie d’humain(e) libre nous impose ce questionnement permanent.

    Beaucoup de règles imposées par l’Eglise ne découlent pas des Evangiles, mais sont des inventions humaines, et masculines. Si elles aboutissent à la subordination, la ségrégation et l’exploitation, s’interroger sur elles est légitime.

    Depuis plus de cinquante ans, les femmes de tous les pays , en Europe et dans les Amériques, en Asie, ont analysé la domination dont elles sont l’objet, l’ont décortiquée du point de vue sociologique, économique, psychologique.

    Ces travaux, pourtant nombreux(et regroupés en tant que « Women Studies » dans les universités anglo-saxonnes) semblent être majoritairement inconnus des femmes catholiques françaises*(à qui on a certainement dit que les féministes , c’est le diable ?).

     

    Ainsi elles se trouvent démunies pour articuler ce qui leur arrive avec la condition générale des femmes. Parfois, elles ne voient pas que leur condition est indissociable de celle de toutes les femmes. Ou, plus douloureusement, cette prise de conscience féministe leur arrive parce qu’elles ont été victimes de violences graves au sein de leur communauté.

    Et, ne nous cachons rien, des hommes catholiques commettent des viols et des incestes, ; des hommes catholiques tuent leur conjointe ou ex-conjointe ; des hommes catholiques payent moins leurs salariées parce qu’elles sont des femmes.

     

    Mais l’Institution ne s’adresse jamais à eux pour leur demander des comptes, avec autant de vigueur qu’elle demande aux femmes de se sacrifier et se soumettre…

    Le féminisme ne consiste pas à défendre la place des femmes dans un groupe X, mais l’égale dignité et le partage d’un espace juste pour toutes.

    Aussi l’enjeu pour une éventuelle femme archevêque, même à titre virtuel et symbolique, est il considérable…

     

     

    Michelle. C. DROUAULT

     

    Notes :

    *1 Mgr Barbarin a inspiré le titre du film « Grâce à Dieu » par sa réplique restée célèbre concernant des agressions sexuelles de prêtres sur des enfants/adolescents : « grâce à Dieu les faits sont prescrits »…

     

    * 2 l’égalité-déjà-là est un des mythes avec lequel le patriarcat musèle les femmes, qui auraient « tout gagné ». Vraiment ? 26% de salaire en moins ; retraites inférieures de 40%, 27% seulement de femmes parlementaires, 13% de cheffes d’entreprise…mais 80% des tâches ménagères sont effectuées par des femmes…

     

    *3 Je n’en dirais pas autant des québécoises, des espagnoles, et des sud-américaines…

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :