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ETATS UNIS, LA MISOGYNIE FAITE FEMME ?
Que mes lectrices/lecteurs ne m’en veuillent pas de mon mutisme pendant cette période de confinement…Elle m’a au moins permis de visionner plusieurs séries.
Vous trouverez ici quelques réflexions sur l’une d’elles, qui m’a particulièrement plu.
Une série intitulée « Mrs AMERICA » retrace le parcours peu connu en Europe de Phyllis Schlafly, militante anti-féministe américaine farouchement opposée à L’E.R.A (Equal Right Amendement) établissant l’égalité des droits entre hommes et femmes.
Pour devenir le 27 éme amendement de la Constitution, l’E.RA doit être adopté par au moins 38 états avant mars 1979. Nous sommes en 1970, et durant presque dix ans, cette conservatrice va militer pour empêcher son vote…
Discrètement, le scenario nous oriente vers les possibles causes cachées de cet engagement à contre-courant. Si Mrs Schlafly se présente comme une mère de famille au foyer, c’est une femme fort instruite diplômée de Harvard (la plus prestigieuse des universités américaines) Elle a des connaissances très pertinentes et éclairées sur la défense et l’armement nucléaire(20 ans d’expérience) et veut en faire profiter son pays, encore en pleine guerre froide. Malheureusement, lorsqu’elle participe à une réunion d’un groupe politique à la place de son mari, on lui met un bloc-notes entre les mains et on la traite comme une secrétaire, sans l’écouter.
Déterminée à jouer un rôle dans la société, Phyllis va alors se rabattre, à l’instigation des hommes de son entourage, sur le combat anti-féministe : ils la poussent à être leur prête-nom pour contrer le vote de l’ERA et les revendications générales des féministes, dont ils ont peur.
La simple égalité des droits leur est insupportable : après l’obtention des droits civils pour les Afro-Américains en 1965, L’ERA ferait enfin des USA une nation pleinement démocratique.
Un cauchemar pour les conservateurs républicains ? C’est en tout cas la conviction de Shirley Chisholm, première femme afro-américaine élue au Congrès, que nous voyons militer pour l’amendement, tout en se faisant reprocher par certains de ne pas prioriser la cause noire plutôt que celle des femmes ; et parfois doute…
Peut être inspirées par les œuvres d’Andréa Dworkin (Les Femmes de Droite, en particulier) et de Susan Faludi (Backlash, le retour du Bâton) les réalisatrices montrent habilement comment les hommes américains acceptent très bien que leurs épouses militent, du moment qu’elles roulent pour eux…la manipulation est totale : elles ont l’impression d’être importantes, mais combattent contre leurs sœurs, et servent d’alibis.
En effet, Phyllis n’est guère dans son foyer, toute occupée à faire campagne auprès des ménagères de l’Illinois pour les persuader d’empêcher le vote de l’Amendement pour l’égalité des droits des femmes. Elle les mobilise d’ailleurs sur de faux arguments.
En pleine guerre du Vietnam, la conscription féminine(dont il n’a jamais été question !) peut à juste titre effrayer les électrices pour leurs filles. Jamais non plus n’a été évoquée par les pouvoirs publics une éventuelle suppression de la prestation compensatoire en cas de divorce ; pourtant elle l’affirme. Elle serait même allée jusqu’à inventer une fausse jurisprudence lors d’un débat télévisé ? Cet épisode est invérifiable.
A ce combat, cette mère de six enfants en joint un autre : la lutte anti avortement, pourtant réduite à sa plus simple expression en 1973 à la suite du fameux arrêt Roe/ Wade.
Le film, une fiction basé sur des faits réels, nous présente par petites touches l’envers du décor pour le personnage. Phyllis est une épouse tyrannisée par son mari, contrainte sous tous les aspects. Car ce mari ne la veut pas libre, et a vite fait de lui rogner les ailes dés qu’elle veut prendre de l’envergure et reprendre des études de droit. Elle a beau assurer qu’elle sera rentrée pour le dîner, c’est non ! et il ne se prive pas de rappeler que c’est lui qui paye et qu’elle ne dispose pas d’argent personnel. Elle trouvera pourtant un moyen d’enfreindre ces interdits…
La suite de la série nous montre comment les droits des femmes et leurs corps ne sont que des variables d’ajustement pour les partis politiques, qui évaluent si défendre les droits des femmes va leur attirer ou leur retirer des voix ; et n’ont aucune conviction particulière en la matière.
C’est ce dont Phyllis et sa principale rivale républicaine( de droite mais favorable à l’ERA) vont faire l’amère expérience lors de l’investiture de Reagan en 75/76…
Phyllis Schlafly va donc être contrainte de se tourner vers des milieux protestants évangélistes, des groupes de plus en plus sectaires, pour tenter d’avoir des appuis.
Mais en 1982, on peut considérer qu’elle a gagné : seuls 33 états ont ratifié l’ E.RA.
Et les mouvements « pro- vie » n’ont cessé de prendre de l’ampleur.
Sans surprise, Mrs Schlafly avait assuré Donald Trump de son soutien.
La série « Mrs America » a le mérite de nous embarquer dans les combats des américaines.
Nous y voyons aussi Betty Friedan et Gloria Stenheim, principales fondatrices du féminisme américain, aussi bien théorique qu’activiste. Elles n’ont eu de cesse d’agir pour mettre au jour l’oppression des femmes en tant que fait politique ; tandis que Phyllis Schlafly martelait que les problèmes que pouvaient rencontrer les femmes n’étaient que « personnels », ce qui est le leitmotiv de tous les conservateurs afin de les isoler et les faire culpabiliser de ne pas assez bien « réussir « leur vie au lieu de s’unir.
L’Europe n’a pas connu de mouvements spectaculairement anti-féministes.
Suite à deux guerres, à l’occupation d’une partie de l’Europe par les troupes allemandes, les femmes ont non seulement fait marcher leur pays, mais aussi résisté avec honneur et courage.
En France, c’est la participation des femmes à la Résistance qui a incité le général de Gaulle à juger indispensable de leur accorder (enfin !) le droit de vote.
Un droit pourtant obtenu par les américaines dés 1918..
A l’occasion de la commémoration du 8 mai 45, je lisais l’autre jour que Cécile Rol-Tanguy, décédée ce même jour à l’âge de 101 ans, transportait des armes dans le landau de sa fille.
Il est évident qu’un tel modèle ne pouvait laisser trop de place à l’idéologie de la mère au foyer ! Les femmes communistes, assez nombreuses, ont contribué à un modèle de femme à la fois travailleuse et mère de famille, égale de son conjoint.
Car la « mère au foyer » est une idéologie, et assez rarement un véritable choix des femmes, qui en France s’y résignaient souvent par manque de mode de garde pour leurs enfants.
Mais il s’agissait de reconstruire le pays, et nombreuses furent les entreprises publiques et privées qui dés 45 ouvrirent des crèches et garderies. L’innovation de l’école maternelle suivit : l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail rendait ces structures indispensables.
Le taux d’activité des femmes, de 45% des femmes en 1945, monta à 60% d’entre elles en 1974, puis à 70% en 1994 (dont 54,7% des mères de 3 enfants !) enfin à 80% en 2013…Les Etats Unis ont la réputation (méritée hélas) d’avoir la politique familiale la plus hostile de tous les pays développés : le congé de maternité (12 semaines) n’existe que depuis peu, et seulement pour les entreprises de + de 50 salariées ; il n’y a aucune structure de garde collective pour les enfants de moins de 5 ans, âge où commence l’école.
Si les femmes avaient bien occupé les 38% de postes laissés vacants par les hommes mobilisés à partir de 1941, ceux çi voulaient retrouver leur place, et les autorités américaines embauchèrent des publicistes pour une intense propagande en faveur de la mère au foyer. Malheureusement, elle fut aussi largement dégradante et infériorisante pour l’ensemble des femmes, présentées comme des poupées écervelées incapables de réfléchir.
Une propagande qui n’aurait pas marché en Europe, même si cette image a tenté de percer chez certains publicistes avec l’arrivée de l’électro ménager…
Mais nul(le) n’aurait jamais défendu dans les pays européens les « privilèges » des femmes au foyer, dont on a plutôt évoqué la « fonction » ou le «travail à la maison».
Et si une législation restrictive subordonnait jusqu’en 1965 le travail de l’épouse à l’autorisation du mari, on ne rencontrait quasiment pas d’hommes qui s’y opposaient, raison de la désuétude puis de l’abrogation de la loi.
Non, en France il n’existe pas d’égérie de l’anti-féminisme.
Mais les anti-féministes se retrouvent souvent chez les catholiques.
Pourquoi, comment ? ce sera l’objet d’un nouvel article.
En attendant, aux USA le fameux ERA a enfin été ratifié par 38 états. Il en manquait encore 3 : en 2017 le Nevada ; puis l’Illinois en 2018, fief de Phyllis Schlafly ; le dernier en janvier 2020, fut la Virginie.
Cependant les anti-féministes ne désarment pas, et disent qu’il est trop tard, la date-butoir étant dépassée. Mais aucun autre amendement n’a été soumis à une telle clause.
Clause spécifique dès qu’il s’agit d’égalité ?
A suivre , donc…
Michelle. C. DROUAULT
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