• la fille de Jephté

    Dans le précédent article, l’auteur évoque un passage de la Bible où un homme sacrifie sa fille pour être fidèle à un vœu fait à Dieu. On trouve ce passage dans le livre des Juges au chapitre 11. On peut légitimement se révolter devant de tel récit, qui plus est dans un livre que l’on dit inspiré par Dieu. Mais il faut aller au-delà d’une lecture fondamentaliste.

     

    Il faut savoir d’abord que le Bible contient des positions contradictoires. Ici un sacrifice, et à d’autres endroits un refus virulent des sacrifices humains. Dieu se contredirait-il ?

    Ensuite comprendre que ces textes témoignent d’une lente progression vers plus d’humanisation. Les textes les plus anciens laissant la trace de ce qui se faisait couramment chez les peuples de l’Antiquité, les textes les plus récents s’insurgeant devant ces pratiques. Mais alors pour quoi les auteurs bibliques ont laissé des textes «  dépassés » par une meilleure compréhension de ce qui est meilleur de faire ?

    Parce que la Bible ne nous livre pas du « tout-fait », du prêt à croire, une carrière de normes monolithes et intemporelles. Elle nous montre que la vérité se cherche, qu’on tâtonne, qu’on peut progresser vers plus d’humanisation. Elle ne gomme pas la lente émergence de l’esprit humain éclairé par Dieu, vers ce qui est meilleur. Elle laisse ces textes, témoins de cette longue émergence, pour nous apprendre à penser, à nous positionner, à nous révolter devant l’inacceptable.

    Enfin il nous est possible, même avec ce texte des Juges, de l’interpréter de manière neuve. C’est ce que je propose dans l’article qui va suivre.

     

     

    Le fille de Jephté

    Ce passage se trouve dans la Bible, au livre des Juges chapitre 11

    On ne sait rien de cette jeune fille, sauf qu’elle est la fille unique de Jephté.

    Au temps des juges, Jephté est rejeté par les siens, car sa naissance est suspecte : il est le fils d’une prostituée.

    Il est devenu un chef de bande, ambitieux et plein du désir de se venger. On est en guerre et à la veille de la victoire, Jephté fait un vœu porteur de haine et de violence : « Si tu livres, dit-il au Seigneur, entre mes mains les Amonites, quiconque sortira le premier des portes de ma maison, celui-là appartiendra à Dieu et je l’offrirai en holocauste »

    Violence et mort déguisées en bien, en offrande, en un geste religieux de reconnaissance envers Dieu : cela  dépeint  l’idée qu’il se fait de Dieu et de sa puissance. Une fausse image qui lui donne le droit de disposer de la vie de ses sujets, en s’autorisant de l’idée qu’il se fait de Dieu.

    Une fois victorieux, Jephté rentre chez lui. Qui va sortir le premier de sa maison pour lui faire fête ?

    « Et voici, sa fille sortant à sa rencontre avec des tambourins et en dansant. Mais elle était son unique …Dès qu’il la vit il déchira ses vêtements et dit : « Ah !ma fille tu me désespères ! Tu es de ceux qui me portent malheur »

    Visiblement sa fille est au courant du vœu prononcé par son père…Sa réponse le confirme : « fais pour moi selon ce qui est sorti de ta bouche puisque le Seigneur a pour toi tiré vengeance de tes ennemis »

    Si elle sort la première, c’est en connaissance de cause et parce qu’elle l’a voulu. C’est elle-même qui pour faire la fête à son père, s’expose en personne, peut-être pour l’empêcher d’exécuter son vœu cruel contre un innocent. En ce sens, c’est un acte libre qu’elle pose pour s’opposer à l’image mortifère de Dieu que se fait son père. En ce sens, elle préfigure l’acte du Christ qui dira : « Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne »

    C’est son enfant unique : s’il accomplit son vœu en faisant tuer sa fille, il se prive de son enfant unique et de descendance.

    Ainsi, cette fille met son père au défi de faire ce qu’il a promis, espérant que l’affection de son père va l’emporter sur son ambition. C’est un père aimant, peut-il honorer le Dieu qui donne la victoire en lui sacrifiant sa fille pour leur malheur à tous les deux ?

    Mais Jephté ne répond rien.

     Elle lui demande deux mois : pour que son père réfléchisse, pour qu’il prenne la mesure de ce qu’il va faire, pour qu’il pèse le poids de souffrance de part et d’autre ? Elle part dans les montagnes « pleurer sa virginité » : elle est au désespoir, comme son père. A son retour, « il accomplit sur elle le vœu qu’il a prononcé ». 

    Cette fille admirable a l’audace d’affronter son père, (le délire ambitieux de son père), au risque de sa vie. Elle n’a pas de nom puisqu’elle va être privée d’elle-même. En elle est le désir de protéger les gens de sa maison, et peut-être aussi, son père de sa folie meurtrière. Elle espérait que l’amour de son père pour elle l’emporterait sur son désir de revanche et sa soif de pouvoir.

     

     « D’année en année, les filles d’Israël iront célébrer la fille de Jephté le Galaadite quatre jours par an » ; Elle n’a pas de nom mais c’est elle, dont la mémoire restera.

     

    « Pour les femmes de la Bible, Dieu est avant tout le  Dieu de la Vie, plutôt que de la puissance et de la victoire » nous dit Sylvie Germain…. Dieu se dresse au cœur de leur vie …Dans cet Ailleurs (on pourrait dire Autre) qui est Dieu même, au plus profond d’elles-mêmes, elles puisent la force d’affronter les puissants et de risquer leur vie, afin d’obtenir grâce pour les petits : elles ont la foi en Dieu, et elles peuvent en mourir comme le Christ.

     

     


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