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Trompe l'oeil
Un numéro spécial de « Charlie-Hebdo » pour la commémoration des attentats de Janvier 2015, vient de sortir.
Il présente un Dieu tiré de l’imagerie classique judéo-chrétienne (robe longue, barbe blanche, et œil qui regarde Caïn), armé et maculé de sang, avec le commentaire : « l’assassin court toujours ! ».
Que l’on caricature Dieu ne me choque pas. En tant que chrétienne, je pense que le Christ comme figure de Dieu a été suffisamment moqué, jusqu’aux dernières heures de sa vie, pour que nous ayons dépassé cela.
Non, ce qui me désole, c’est la déresponsabilisation des humains dans cette affaire, le mythe que si les religions n’existaient pas, les violences de toutes sortes s’arrêteraient.
Sortis de la catégorie des humains, les assassins n’ont pas été comptabilisés parmi les morts de Janvier 2015. Tous les media ont évoqué 17 morts. Ils sont 20. Ces hommes se sont donnés la mort par leurs actes, mais ils étaient comme nous issus d’un homme et d’une femme, ils avaient une mère qui les pleure quelque part, peut être des enfants, nous n’en savons rien.
Leurs familles ne sont en aucun cas responsables de leurs terribles dérives.
En faire des monstres, des non-humains, est facile : nous ne sommes pas concernés, ce ne pourrait pas être nous, ou nos enfants.
On entend dire que cette forme de terrorisme est le nazisme moderne. Les nazis étaient- ils des monstres ? La question fait encore débat.
Notons pour mémoire que le nazisme était profondément athée, et que le christianisme était sa bête noire.
Il me semble que l’idéologie suprémaciste nazie a fait surgir ce qu’il y a de pire en l’Humain : c’est la preuve de ce que des humains peuvent infliger à leurs semblables. Elle a libéré les pulsions sadiques d’un Barbie ou d’un Mengele. Mais souvent, les nazis n’étaient que des bureaucrates ordinaires, plus rigides que d’autres, obéissants aveugles reproduisant ad libitum la « banalité du Mal » si bien nommée par Hannah Arendt. Ils étaient par ailleurs pères de famille. C’est là toute l’immense contradiction de la condition humaine. Déshumaniser les bourreaux, c’est se précipiter dans un déni que nous croyons salvateur, nous exonérer par avance du Mal. Qui sait ce dont nous nous serions capables dans des circonstances x ou y ?
Cette déshumanisation a atteint son paroxysme dans des commentaires sur les obsèques plus que discrètes d’un des kamikazes des attentats de Novembre : « Comment, aucune déchetterie n’en a voulu ? » ironise un internaute sur le site d’un quotidien, se croyant peut être drôle…
Que cet homme n’ait pas eu de respect pour la vie des autres n’en fait pas un déchet.
Une fois les bourreaux déshumanisés, il faut alors chercher un coupable : Dieu.
Et un remède : la suppression de toute manifestation de spiritualité dans la société.
L’injonction aberrante de « faire rentrer la religion dans la sphère privée » fait recette.
Ainsi vivrons-nous soi-disant en Paix…
C’est absurde, parce que les messages prophétiques des 3 monothéismes concernent les relations des humains entre eux, et les modifications que cela peut entraîner sur la marche du Monde.
Si St Vincent de Paul, l’Abbé Pierre, Mère Térésa, Gandhi et tant d’autres, étaient restés prier et méditer dans leur chambre, le monde en serait il meilleur ?
Je ne ferai pas à ceux qui professent ces théories l’injure de les croire ignorants de ce qu’était la vie dans les pays où près de 70 ans durant, on a interdit toute manifestation religieuse, toute réflexion théologique…
La laïcisation forcée et drastique de l’URSS et des pays sous sa tutelle n’a pas empêché les goulags, les répressions et les persécutions arbitraires. L’idéologie généreuse du partage des biens et des richesses a pu être détournée par quelqu’un comme Staline, parce que la soif de pouvoir est simplement humaine. L’Eglise est tombée dans ces simplifications : avant 89, le communisme était l’ennemi à abattre, et tout irait bien ! Mais après la chute du régime soviétique, les passions humaines se sont réveillées.
Car ce qui court toujours, c’est notre orgueil, notre soif de domination, notre capacité de violence, notre volonté d’anéantir ce qui fait obstacle à nos désirs. Dieu est là au contraire pour nous en sauver. Mais Il n’est pas à l’abri des instrumentalisations : Dieu étant à et pour tout le monde, il existera toujours des humains qui prétendront parler et agir en Son nom pour justifier leurs actions mortifères.
Et s’il existe un combat à mener d’urgence, c’est celui contre nos égoïsmes, nos lâchetés, notre manque de lucidité ; les reniements de nos convictions par opportunisme ou suivisme.
Notre difficulté d’aimer.
L’assassin est en nous, mais il ne tient qu’à nous de le faire sortir.
« Dieu », disait Etty Hillesum, « c’est ce qu’il y a de meilleur en moi.. »
Michelle C. Drouault
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Commentaires
2JeanneMercredi 13 Janvier 2016 à 20:15Provocante réflexion!
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"Sortis de la catégorie des humains, les assassins n’ont pas été comptabilisés parmi les morts de Janvier 2015. Tous les médias ont évoqué 17 morts. Ils sont 20". A ma connaissance, personne n'a su relever cette évidence, mettre en avant cette vérité si lourde d’implications. Cet article de "féministes et croyantes" mérite pour cela infiniment de gratitude - celle qu'on doit à qui présentement avance encore une pensée ou un écrit conçus dans l'intelligence d'un humanisme, c'est à dire dans l'alliance de la raison et de la générosité.
Les terroristes ont effectivement été déshumanisés, et l'on voit bien que n'importe quelle catégorie de déviants identifiés comme tels, y compris lorsqu'il s'agit de déviances infiniment moins criminelles et moins follement sanglantes que celle des djihadistes, est aujourd'hui pareillement vouée à être exclue de l'humain. Combien est-il vrai que déshumaniser les bourreaux est la solution la plus facile face au mystère du mal : s'ils ne sont pas des nôtres, nous ne sommes responsables de rien. Responsables en rien de ce qui les a motivés et en rien de ce qu'ils sont. Et de là on en vient à traiter à peu près toute forme de marginalité au regard de la loi et des normes - trafics en tous genres, violences diverses, addictions ou simples incivilités, et jusqu'à la ghettoïsation dans une culture de cité et dans les préjugés archaïques que celle-ci nourrit - comme requérant seulement d'ajouter de l'emprisonnement à l'emprisonnement, de l'exclusion à l'exclusion.
Proclamer que le criminel, le délinquant ou celui qui simplement fait peur ne sont de pas de notre monde, c'est se conforter dans l'idée que d'une façon ou une autre, il suffit de faire en sorte qu'à l’avenir ils marchent à l'ombre (je fais évidemment référence à la chanson de Renaud ...) - l'ombre des lieux de détention, ou les ténèbres extérieures qui attendraient les déchus de la nationalité ...
Une observation complémentaire : je ne fais pas trop confiance aux rapprochements qui viennent spontanément - et tout milite, il est vrai, en ce sens - entre les différentes abjections qui ont fait succéder leurs déferlantes sur l'humanité. Chaque horreur, chaque façon de faire couler le sang et d'exterminer, me semblerait plutôt, à la réflexion, porter sa spécificité irréductible. De ce point de vue, le nazisme, que ses atrocités eussent été commises par des fanatiques ou par des bureaucrates (les uns ont toujours besoin des autres), me parait plutôt devoir être regardé comme un culte païen : un culte de la mort - ce qu'il partage avec les formes plus classiques de fascisme, et je renvois à cet égard au "Viva la muerte" des nationalistes espagnols - et plus encore un culte de la race.
Dernière remarque : « faire rentrer la religion dans la sphère privée » me semble être une formulation ambiguë ou ambivalente. Contraire au principe de la liberté des consciences et des cultes sanctuarisé par la loi de Séparation, en ce que ces libertés ne sont pas instituées pour s’exercer dans on ne sait quelles catacombes, ni cachées derrière les portes closes des têtes ou des logis des citoyens. Mais juridiquement valide si l’on entend par « sphère privée » ce qui est précisément délimité par le champ des convictions personnelles - y compris, et d’abord, par ce qui ouvre à celles-ci le droit fondamental à l’objection de conscience.
Autrement dit, si l’affirmation d’un domaine privé de la croyance et de la non croyance - toutes deux considérées en tant que spiritualités de libre adhésion et de libre expression - signifie que la loi civile ‘’vit sa propre vie’’ et se forme dans une indépendance absolue vis à vis des institutions et du discours du religieux parce que sa conception ne saurait répondre qu’au choix démocratique des citoyens. Là se trouve, à mon sens, le principe capital de la laïcité auquel renvoie l’interpellation républicaine, souvent comprise à contresens, de Gambetta : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ».
La souveraineté de la loi républicaine admet naturellement que dans le débat où s’élaborent ses normes et ses dispositions, les opinions et les conceptions éthiques des citoyens croyants s’expriment au même titre que celles des citoyens non croyants, et qu’elles s’énoncent pour la source confessionnelles qu’elles revendiquent (et dans la diversité des vues qui peuvent les partager comme pour toute autre chaque famille de pensée). Ce qu’elle exclut, car là est le rempart de la liberté de conscience, et donc de la liberté dans son ensemble, c’est qu’une autorité cultuelle ou un groupe religieux, ou se donnant pour tel, puisse dicter ou influencer la conception des normes de droit et des règles de vie au sein de la République.
Interdit qui vise aujourd’hui en premier lieu tout type d’identitarisme ou de communautarisme cultuel résolu à soumettre à ce qu’il conçoit comme la législation qui lui est propre, et à la réglementation interne qui en découlerait, celles et ceux qu’il juge prédestinés à être assujettis à celles-ci. Ce qui cible notamment, en nous ramenant au combat féministe, les sauvageons habillés d’un vernis d’islam qui exigent de leurs sœurs le port du voile en sus d’une tenue de jogging informe. Mais interdit qui, dans sa continuité historique, s’adresse également, au titre de la neutralité religieuse de la loi, de son indifférence souveraine aux injonctions de quelque hiérarchie cléricale ou de quelque lobby cléricaliste que ce soit, aux marcheurs des manifestations ‘’pour tous’’, aux groupes qui les ont activés et aux élus en écharpe tricolore qui ont cheminé avec tant d’assiduité militante à leurs côtés. Didier LEVY