• Pédophilie, délits d’initiés ?

    L’Eglise catholique de France vient d’être ébranlée par un scandale dont elle se serait bien passée :

    Suite à un dépôt de plainte d’anciennes victimes en mai 2015, le père Bernard Preynat, du diocèse de Lyon, a été placé en garde à vue le 25 janvier 2016, puis mis en examen le 27,  pour agressions sexuelles sur mineurs. Les faits remontent aux années 1980/1991.

    Constitués en association, « La Parole Libérée », les plaignants, anciens scouts, ont enfin trouvé la force d’agir, et de rendre public leur traumatisme, refoulé pendant de longues et douloureuses années.

    Cependant, leur action ne semble pas être la bienvenue dans l’Eglise et pour cause !

    Elle éclabousse le Cardinal Barbarin, archevêque de Lyon depuis 2002, qui, au courant des faits depuis 2007, date à laquelle il a convoqué et reçu le prêtre suite à un nouveau signalement d’atteinte sexuelle, n’a absolument rien fait d’autre que de le déplacer dans un autre département en 2011 (c’est son adjoint qui a pris cette initiative), puis de  « promouvoir »le père Preynat à la tête du doyenné de Roanne, en 2013.

    Entre 2007 et 2015, date de la plainte, le père Preynat n’a pas été écarté du contact d’enfants.

    On croit rêver.

    L’examen attentif des faits montre que c’est depuis 1991 qu’il existe des signalements au diocèse, puis des aveux écrits du prêtre lui-même dans des échanges de courriers avec les parents des victimes. En 1998, nouvelles plaintes, nouveaux échanges de courriers qui contiennent des aveux explicites. Dans ces deux circonstances, le seul résultat des plaintes a été la mutation du prêtre (à Neulise, puis à Cours la Ville) et son changement de nom d’usage.

    Publiés par l’Association d’anciens scouts, ces courriers de l’intéressé aux parents des victimes, s’ils contiennent des formules de repentir, dénotent aussi une terrible inconscience de la gravité de ses agissements :

    Il « s’étonne » qu’on exige de lui un départ précipité, qu’il appréhende de devoir annoncer à sa famille, et demande « Comment pourrais-je quitter du jour au lendemain la paroisse comme un voleur ? » Un voleur ? Comme si un vol simple était plus grave que le vol d’une enfance qu’il a accompli maintes fois pendant des années ! Comme si sa réputation était plus importante que la souffrance des victimes.

    Quand à la défense de Mgr Barbarin, elle est pathétique, et tout aussi irresponsable : le regard porté sur la pédophilie n’aurait « pas été le même » dans les années 90, ce qui expliquerait l’inertie du diocèse ? Et en 2007 ?  Comment explique t-il de n’avoir pas écarté ce prêtre immédiatement du contact d’enfants ? Il ne l’explique pas. Il se borne à se raccrocher au code pénal : il n’aurait selon lui « couvert » aucun fait de pédophilie. ( Qu’a t-il donc fait d’autre ?) Une telle défense joue habilement sur les mots : les plaintes concernent des agressions sexuelles (c’est à dire des délits) et non des viols-il n’y aurait pas eu de pénétration des victimes- Ainsi, persuadé d’échapper à la « non dénonciation de crimes » qui l’emmènerait en Cour d’Assises, l’archevêque reste droit dans ses bottes.

    Les témoignages des anciennes victimes sont terribles, et ils dénoncent par de simples phrases l’enfance souillée (« il m’a appris des mots et des actes que je ne connaissais pas ») ;

    l’enfance terrifiée (« il était le Père B, il avait l’autorité, il fallait le respecter ») ; et l’innocence et la foi dupées (« c’était un prêtre, il ne pouvait pas être mal intentionné »).

    Trente ans après, ces hommes racontent le malaise, la peur, l’appréhension des agressions, et la duplicité de leur agresseur, qui nommait ses favoris servants de messe pour avoir l’excuse de les emmener préparer la messe à l’avance dans sa voiture, et procéder à des attouchements. Ces actes n’étaient donc pas des « impulsions » ; nous pouvons présumer qu’ils étaient prémédités.

    Certaines victimes, dont il faut saluer la grande foi, se soucient de savoir si les sacrements donnés par le prêtre étaient bien valides.

    Alors, la question est la suivante : les prêtres et prélats de l’Eglise catholique, qui se prétendent experts en humanité, sont-ils totalement ignares en matière de sexualité , de déviations sexuelles, de psychologie de l’enfant ? Comment ignorent-ils les souffrances physiques et psychiques causées par les abus en tous genres sur des enfants et leurs répercussions ? Ces enfants devenus adultes, époux et pères, disent pudiquement leurs difficultés, leurs blessures, et comment leurs compagnes ont du les approcher avec précaution et un amour sans faille pour qu’ils parviennent à se construire malgré tout.

    Mgr Barbarin a été un des plus farouches opposants au mariage entre personnes de même sexe, soi-disant au nom de la « protection des enfants ». Il avait tenu des propos d’une grande violence. Ses lectures sont donc à géométrie variable ! Ou bien est-il si ignorant, si peu instruit, qu’il confond la pédophilie, qui est l’incapacité à se sentir attiré par des adultes, que l’on soit hétérosexuel ou homosexuel, et l’amour entre deux personnes adultes et consentantes de même sexe ?  A ce moment là, est-il vraiment en mesure de guider des croyants ?

    Le plus grave nous semble être le soutien dont il bénéficie parmi les fidèles : Mgr Barbarin a célébré la messe des Rameaux à Lyon dans une église pleine ; et des journalistes se sont entendus confirmer ce soutien à la sortie de l’office.

    L’archevêque, comme ceux qui le soutiennent par ignorance ou aveuglement, contribuent à discréditer l’Eglise, à faire fuir loin d’elle nombre de croyants dégoutés ou désemparés.

    Ils finissent par douter, et par écouter les sirènes de ceux qui disent « comment Dieu peut-Il permettre de telles ignominies ? ».

    Comment des hommes peuvent ils les commettre ? C’est plutôt là la question.

    Le repli traditionaliste sur les seuls servants de messe masculins ne fait que prêter le flanc aux tendances prédatrices de prêtres pédophiles : il est beaucoup plus facile, comme le démontrent ces témoignages, de prétendre « initier » de jeunes garçons à un service réservé à leur sexe pour les approcher et prendre de l’ascendant sur eux. Un environnement mixte coupe court à ces secrets d’initiés.  Dans un environnement mixte, les jeunes garçons apprennent progressivement et joyeusement des relations de respect et de camaraderie avec l’autre sexe.

    Il n’existe pas de logiques excluantes.

    Rappelons qu’au Québec, depuis quelques années, les servants et servantes de messe sont uniquement des adultes.

    Le mouvement « La Parole Libérée » a écrit au Pape François  le 14 Mars, pour exprimer sa préoccupation, et demander au Saint Père de l’aide pour que les victimes puissent obtenir réparation.[1]

    Nous ne pouvons qu’espérer une parole forte, et le réconfort qu’elles attendent.

     

    Michelle. C. DROUAULT

     

     

     

     



  • Commentaires

    1
    Mercredi 30 Mars 2016 à 02:01

    Comment ne pas adhérer à chaque phrase, à chaque mot, à chaque trait de cet article lumineux de lucidité ? A la fois, et de bout en bout, une respiration d'empathie à l'égard des victimes  - une empathie exposée avec exactement la justesse de ton qu'on attendait - et l'expression d'une solidarité qui guide la sévérité du constat dressé. L'adhésion est tout aussi entière en ce qui concerne les observations et les conclusions qui découlent.de ce constat.  En particulier en ceci : « le repli traditionaliste sur les seuls servants de messe masculins ne fait que prêter le flanc aux tendances prédatrices de prêtres pédophiles : il est beaucoup plus facile (…) de prétendre ‘’initier’’ de jeunes garçons à un service réservé à leur sexe pour les approcher et prendre de l’ascendant sur eux. Un environnement mixte coupe court à ces secrets d’initiés. Dans un environnement mixte, les jeunes garçons apprennent progressivement et joyeusement des relations de respect et de camaraderie avec l’autre sexe ». Mais pour la hiérarchie, se ranger à ce diagnostic -évident -, et plus spécialement à l'avis de sagesse qui le conclut, ne serait-ce pas mettre un pas dans cette direction qu'on s'acharne à tenir fermée envers et contre tout : celle qui aboutit à consacrer la mixité égalitaire du service de la Foi. Et peu-être d'abord à se confronter simplement à un autre constat qui fut fait celui-ci par le Premier intéresse en la matière, et qui a établi qu'en quelque lieu ou temps de la création, et et au regard des fins de cette création, il n'était pas bon que l'homme fût seul.Didier LEVY

     

     

     

     

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