• CHRONIQUE FRONTALIÈRE, MOUSSA BALDÉ,

     

    Sur une palissade de la première ville frontalière italienne, et sur les murs du marché couvert, on peut voir le portrait en noir et blanc d’un jeune homme souriant coiffé d’une casquette de marin. Avec son nom : MOUSSA BALDÉ.

    Le texte qui accompagne ce portrait est moins souriant : »Nous ne pardonnerons pas, nous n’oublions pas ».

    Un début d’explication est tagué en jaune sur la palissade grise : «  Moussa Baldé é morto di razzismo »( Moussa Baldé est mort de racisme).

    Le tag sur la palissade n’a été effacé ou abîmé par personne.

    Seul le deuxième portrait a été « gratté ». Des passants s’arrêtent un court instant et lisent.

    Puis repartent.

    L’autre matin, deux femmes accompagnées d’enfants, qui parlaient une langue rocailleuse à la sonorité slave-sans doute des exilées d’un pays d’Europe de l’Est- se sont arrêtées et ont lu tout haut » Moussa Baldé é morto di razzismo ». L’une d’elle a hoché la tête tristement.

    Sans doute avait elle déjà rencontré le racisme…

     

    Le sourire et la légende m’obligeaient à enquêter.

    Oui, Moussa Baldé, jeune Guinéen de 22 ans, est mort. Il a été retrouvé pendu le matin du 23 mai 2021, dans une cellule de la zone d’isolement du Centre de Rétention Administrative de Turin.

    Comment était il arrivé là ?

    Le 9 mai précédent, il avait été pris à partie et tabassé par trois italiens à Vintimille: coups de pieds, de poings, de tuyau plastique et de barre de fer.

    Après avoir été hospitalisé 24 heures à Bordighera et s’être vu notifier 10 jours d’incapacité de travail, il a été placé en rétention sans qu’on tienne aucun compte de son état de fragilité physique et psychologique. Ce qui a été retenu en priorité est son statut de personne sans papiers. Il n’a même pas été entendu comme témoin de sa propre agression, et n’a pu porter plainte.

    Comme on lui avait confisqué son téléphone, Moussa ignorait que son agression avait eu des témoins oculaires, et que des Italiens se mobilisaient pour lui, avec sa famille qui réclamait sa libération. Il n’était pas seul, mais il n’en savait rien. Totalement isolé, il a désespéré.

    Son état psychologique s’est dégradé. Au bout de 5 mois de détention, il s’est donné la mort.

    La nuit de son décès d’autres détenus ont dit l’avoir entendu crier, et tenté d’alerter les surveillants sans succès.

    A l’heure où on nous parle sans cesse d’intégration, Moussa avait fait tout ce qui lui était demandé pour s’intégrer. Il avait pris des cours, appris l’italien , passé une qualification, puis demandé les papiers de séjour et de travail qui lui ont été refusés

    Mais c’est lui qui a été victime d’une agression, et lui qui a été emprisonné.

    Ses 3 agresseurs ont comparu libres en première audience devant le tribunal d’Imperia le 4 octobre 2022.

    Ils ont finalement été condamnés à 2 ans de prison avec sursis, un peu en deçà de la demande du Parquet, qui avait requis 2 ans et 8 mois. La circonstance aggravante de « haine ethnique » n’a pas été retenue. Les associations de défense des Droits Humains n’ont pas été autorisés à se porter partie civile. Elles assurent cependant qu’il est important que ce procès ait eu lieu.

    (source : Amnesty International). Reste celui de la défaillance ou la mauvaise volonté des institutions qui ont conduit à la mort de Moussa. Il est à venir…

     

    De l’autre côté, à la première gare française après la frontière, la traque des migrants continue.

    Contrairement aux idées reçues, nul n’est « illégal » avant d’avoir demandé l’asile, mais il n’est pas loisible de le faire à ceux que l’on fait descendre du train. Et ils sont renvoyés en Italie, même ceux qui viennent de pays francophones.

    S’il est une chose qu’on ne peut modifier, c’est bien sa couleur de peau.

    Et c’est principalement sur le critère de celle-ci que semblent s’effectuer les contrôles.

    Il est arrivé que des Antillais en fassent les frais, dont un journaliste, qui avait raconté sa mésaventure, s’étonnant du peu de contrôle des « blancs » de son compartiment.

    Au XXI éme siècle, on pourchasse encore des êtres humains au motif d’infraction supposée à des règles administratives, mais le fond du problème est le rejet de la couleur de leur peau.

    Comme l’ont affirmé, brutalement, les USA d’avant la guerre de Sécession, et l’Afrique du Sud de l’Apartheid.

    Les règles n’ont elles été inventées que pour justifier le rejet ?

    Les pouvoirs publics continuent à nous désigner -à juste titre- la persécution des Juifs comme monstrueuse, et nous frissonnons à voir des films ou des documentaires où la « police allemande » et la Gestapo fouillaient les trains.

    Mais sans le « statut des Juifs » le racisme mortifère qu’était l’antisémitisme du III éme Reich et du régime de Vichy était nu. Et au fur et à mesure qu’il s’est dévoilé tel qu’il était, les français ne l’ont plus accepté.

    La réalité, c’est que oui, le racisme , quel qu’il soit, tue.

    C’est un poison.

    Et Moussa Baldé est mort de racisme.

    Celui de ses agresseurs, et celui d’intervenants aveugles.

     

    MOUSSA BALDÉ,  j’espère que tu es dans la lumière de Dieu, pendant que l’Europe reste si cruellement dans les ténèbres de l’injustice et de l’inhumanité.

     

     

     

    Michelle DROUAULT

     


  • Commentaires

    1
    Martine
    Lundi 21 Août 2023 à 10:28

    Conclusion : un voeu qui me touche profondément.

    2
    LEVY
    Lundi 21 Août 2023 à 16:31

    À partir du cas tragique et emblématique d’une victime poussée au désespoir et au suicide, cet article nous fait prendre la mesure d’une réalité terrible : celle d’un déni absolu des droits humains qui est le fait et la honte de l’Europe. Il nous découvre ainsi à quel point, sur la région frontalière entre l’Italie et la France, la répression anti-migrants est constante et féroce des 2 côtés.

    Et il démontre et souligne que c’est principalement sur le critère de la couleur de peau que cette traque s’effectue.

    Rien que pour ce témoignage, et pour l’investigation factuelle sur laquelle il s’appuie, cet article constitue une alerte et une interpellation qui rendent sa lecture indispensable. Comme à toute époque de persécution, cette alerte et cette interpellation – à l’endroit des gouvernants et de leurs auxiliaires -, sont irremplaçables. Ils sont, vis-à-vis de chacune et de chacun, un appel à la dignité, à l’honneur d’une société et de ses membres. Et plus encore, au partage d'une objection de conscience.

    A ce titre, le ton, la forme, l’élévation de pensée de l’article, évoquent la mémoire ou, plutôt, se situent au niveau des objections de conscience qui ont le plus compté. Très tôt dans ma lecture, j’ai senti le souffle et l’esprit du « J’ACCUSE » de Zola. Au lendemain de cette lecture, c’est bien l’idée que je garde de celle-ci.

    Didier LEVY

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