• Les enfants, grands perdants d’une actualité dérangeante.

    Au moment où est survenue la tragédie de Nice, j’étais en train d’écrire un article concernant une fois de plus, les enfants, et intitulé : « Trop d’orphelins ».

    Après les orphelins de Charlie Hebdo, de l’Hyper Casher, du Bataclan et des cafés avoisinants (plusieurs jeunes parents y ont perdu la vie),  le double meurtre d’un policier français et d’une secrétaire de police, sa compagne, à Magnanville, a fait récemment un autre orphelin : un jeune enfant de 3 ans, qui a assisté à la mort de ses parents.

    Une semaine plus tard, la députée travailliste britannique Joe Cox, assassinée en pleine campagne référendaire du Brexit,  laissait deux autres orphelins de 3 et 5 ans.

    S’il n’y a pas de mots pour décrire les traumatismes de ces petits, je ne peux oublier non plus que sur les 65 millions de personnes actuellement déracinées ou en déplacement forcé dans le monde, 51% sont des enfants.

    Le déplacement affecte de façon tragique la vie des jeunes, et 1 enfant sur 11 vit dans une zone de conflit.

    98 400 demandes d’asile émanent d’enfants ou d’adolescents non accompagnés, séparés de leurs parents, qui ignorent s’ils les reverront un jour. (Sources : CHCR, UNICEF)

    Une psychologue d’un centre pour réfugiés Palestiniens et Syriens expliquait dans un reportage qu’elle estimait une génération entière sacrifiée : certains enfants ne dessinent que du sang, des couteaux et des balles ; d’autres ne rêvent que de vengeance parce qu’on a tué des personnes de leur famille. Beaucoup ont perdu un de leurs deux parents.

    Pour quelles conséquences psychiques et sociales ?

    Les enfant meurent aussi : le petit Aylan n’était que le symbole de ces morts injustes et scandaleuses, dont l’Europe ne se soucie guère. Nous n’allons pas ici dresser de statistiques macabres, mais ils sont plusieurs centaines depuis janvier, malgré les efforts d’ONG, d’associations humanitaires, et des autorités italiennes,*1 à avoir trouvé la mort dans la Méditerranée. Plusieurs centaines : soit une vingtaine de classes de petits, moyens et grands.

    Une école entière.

    A l’heure où j’écris ceci, j’apprends qu’un jeune Afghan, mineur non accompagné, demandeur d’asile en Allemagne, a fait une tentative d’attentat dans un train, où plusieurs personnes ont été gravement blessées, et qui lui a couté la vie.

    Dans quelles conditions cet enfant (car légalement, c’était un enfant) a-t-il vécu, je l’ignore.

    Cette énième tragédie est peut être hélas une des réponses à mes questions précédentes : quelles conséquences psychiques et sociales pour les enfants en zones de conflits, les enfants qui n’ont plus de parents ? Seuls des bénévoles, c’est à dire « ceux qui veulent bien », s’attellent à la tâche de tenter de les reconstruire.

    Si les enfants victimes d’attentat sont « personnalisés », et si l’on publie leur photo et on raconte leur courte vie sur les réseaux sociaux, les enfants réfugiés sont une masse anonyme.

    Agresseurs comme celui-ci, ils connaissent une célébrité  éphémère et posthume.

    Une famine de masse pour des milliers d’enfants au Nigéria (50 000 ?) : c’est ce qu’annonce ce matin Médecins Sans Frontières. Des  centaines de tonnes de nourriture seraient nécessaires dans l’urgence, dans des régions où le tristement célèbre Boko Haram (littéralement : l’Occident illicite ») sévit….

    A Nice plus d’une dizaine d’enfants auraient été tués dans cette terrible agression au camion fou.

    QU’EST CE QUE L’HUMANITÉ EST EN TRAIN DE FAIRE À SES ENFANTS ?

    A cette question cruciale, je n’entends comme réponse que des discours « va-t-en-guerre » totalement inadaptés à la réalité.

     Pour contrer le terrorisme, certains préconisent des mesures de science-fiction totalitaire : un état d’urgence permanent, l’arrestation ou l’internement préventifs de tous les fichés, bref, une descente vers « Minority Report *2 » : arrêter ceux qui ont seulement l’idée de commettre un délit, ou pire, qui pourraient l’avoir un jour, au mépris des principes de droit qui nous différencient justement des barbares…

    D’autres encore s’en prennent aux migrants déplacés qui, comme nous venons de le voir, sont pour bon nombre des enfants.  L’équation obligatoire migrant=terroriste cède à ce banal constat : les meurtriers des précédents attentats étaient français ; celui de Nice un résidant ordinaire, installé durablement.

    La haine de la différence bat son plein avec son lot d’irrationnel : jusque sur les sites de journaux peu suspects de sectarisme identitaire, des commentaires haineux et stupides de lecteurs sur l’Islam  sont répétés en boucle, avec les mêmes obsessions : fermer toujours plus de mosquées, arracher les voiles…imposer une « laïcité » déformée, qui devient à son tour un dogme et un remède-panacée.

    Pour quelle efficacité ?

    L’irrationnel de l’opinion semble irréductible : en effet, dans l’attentat de Nice, d’après le procureur Molins lui même que je cite :

    « Les témoignages font état d’un individu (le meurtrier) éloigné des considérations religieuses, NE PRATIQUANT PAS LA RELIGION MUSULMANE , mangeant du porc et buvant de l’alcool, consommant de la drogue, et ayant une vie sexuelle débridée ». Dont acte.

    Ce comportement devrait être le cauchemar de tout fondamentaliste !

    Dans un premier temps « aucun élément de l’enquête ne démontrait l’allégeance de Mohammed L.B. à une organisation terroriste ». Puis nous avons su qu’il avait des complices. Et que cet attentat était certainement prémédité de longue date, sur la base d’une idéologie peu claire, référencée effectivement à la propagande de l’EI, qui a « revendiqué » l’attentat.

    Malgré ces données, qui dessinent un profil de terroriste jusqu’ici inconnu, le président de la LICRA de la région PACA fait tristement état d’une « parole raciste libérée » à Nice…

    Le véritable racisme, celui qui condamne non pas les actes, mais les personnes pour ce qu’elles sont, de confession ou d’origine réelle ou supposée.  Nombre de victimes du 14 Juillet sont musulmanes….les racistes n’en ont cure, et ils prennent double peine.

     

    La suite de l’enquête n’a pas attiré l’attention, pourtant elle est essentielle :

    « Il était (…) particulièrement violent à l’égard de son épouse et de ses enfants ».

    Quand cet aveuglement va-t-il cesser ?

    La violence machiste et familiale exercée par les hommes est en France systématiquement niée ou banalisée. Des magistrats osent affirmer qu’un homme violent envers son épouse ou compagne peut être par ailleurs un bon père ! Des hommes qui tuent femme et enfants à l’issue d’une séparation sont plaints car « ils ne supportaient pas la séparation », et ces meurtres récurrents sont recyclés en « drames passionnels ».

    Entre Janvier et Mai 2016 en France, 44 femmes, dont 33 mères, ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint dans le cadre d’une séparation. Ces meurtres ont fait 64 orphelins (encore !). 4 enfants ont été tués avec leur mère, 8 ont été tués par leur père qui s’est ensuite donné la mort, 1 bébé a été tué in utéro. (Source : AFD *3)

    Le plus grave, outre la faible publicité médiatique donnée à ces faits en tant que question sociale, est la faiblesse des peines encourues par les coupables ( si ils survivent !) et l’absence totale d’obligation de suivi psychologique ou psychiatrique.

    Considérer sa famille comme sa propriété exclusive, une part de soi-même sans aucune autonomie, ou des proies pour satisfaire son besoin de violence sont des symptômes extrêmement alarmants qui devraient être pris en considération. En France, ils ne le sont pas.

    Il serait intéressant de connaitre la teneur des sévices ou menaces que le meurtrier de Nice avait infligés à sa famille. Avait-il seulement une interdiction de les approcher ?

    Par ailleurs, la dimension psychiatrique de la « radicalisation » est superbement ignorée.

    La « radicalisation «  est vue comme un processus magique, une sorte de métamorphose inéluctable que personne n’analyse : « Il se serait radicalisé très rapidement » ??? « On évoque une radicalisation-éclair ( !) »

    Que met-on derrière ce mot ?

    Il est paradoxal qu’une opinion publique qui tend à reléguer les religions au rang de superstitions, abonde dans le sens d’une transformation mystérieuse et quasi-surnaturelle d’individus devenus soudain assoiffés de sang…

    En amont du processus, rapide ou lent, il existe une faille, une fragilité psychique, un événement parfois vu comme négligeable qui fait effraction dans l’univers interne du sujet, une déconnection du réel ou une pathologie latente, sur lesquels surfent les manipulateurs qui recrutent de nouveaux adeptes.

    Le « djihadisme » est probablement l’une des plus grandes manipulations mentales de masse de l’Histoire (après le nazisme*4), dont la nature sectaire et pathologique est très peu prise en compte. Ceux et celles qui travaillent avec acharnement sur cet aspect fondamental du recrutement des jeunes par l’Etat Islamique ont été peu soutenus.*5

    Il est  en effet plus rassurant de croire à l’efficacité de la déchéance de nationalité, ou du rétablissement rigide des frontières européennes, tous processus cadrés et concrets, que de se pencher sur des stratégies de manipulation mentale complexes, et d’essayer de leur faire barrage, avec le travail de fourmi que cela implique.

    Saluons l’intervention récente dans ce sens de Gilles Kepel*6 expliquant que ce n’est pas l’Etat, ce ne sont pas forcément les lois, qui peuvent empêcher le terrorisme, mais ce sont les citoyens eux mêmes. En ouvrant les yeux. En ayant des exigences sur la prévention, le traitement et la répression de TOUTES les formes de violence.  Il n’y a pas une violence acceptable, et une qui ne l’est pas ; une violence privée et une violence publique, elles sont en lien ; et la lutte contre les maladies mentales, qui facilitent et exacerbent la violence, devrait être une priorité aussi importante que la lutte contre le cancer !

    Actuellement, tous les cas d’emprise, de harcèlement, de violence intrafamiliale, de comportements agressifs répétés, sont traités avec une naïveté et un fatalisme qui confèrent à l’inconscience, et ne sont pas répertoriés comme fléaux sociaux.

    Lorsque la cause de tels agissements est la psychose, elle est très mal identifiée.

    La psychose a pour caractéristique de couper le sujet de la réalité pour l’enfermer dans un monde imaginaire où souvent, il est persécuté, ou bien a pour mission de défendre ceux qu’il croit persécutés. L’actualité traverse les malades, ils en absorbent des bribes qu’ils intègrent à leurs idées délirantes. C’est ce qui peut les conduire à des crimes. Voilà ce que m’avait expliqué une psychiatre qui soignait de jeunes adultes psychotiques.

    Internet, les jeux vidéo, avec leur virtualité, sont des pièges qui alimentent la psychose.

    L’utilisateur est seul-e devant l’écran, et personne ne vient interférer dans ce monde fermé, où n’importe quel endoctrinement est possible. Pour les plus jeunes, il n’est pas anodin de jouer à « tuer » des personnages fictifs sur une console.

    Si comme l’a souligné le même Gilles Kepel dans une interview à la chaine BFM TV, les pulsions sadiques d’un psychotique trouvent un écho et une satisfaction dans les scènes d’horreur meurtrière (décapitations, etc…) diffusées par Daesh, on peut craindre le pire, et il n’est pas besoin d’affiliation réelle à un groupe terroriste pour passer à l’acte. Une affiliation fantasmée suffit.

    « Nous sommes en guerre » nous dit-on, mais contre quoi ? 

    Si chanter « la Marseillaise «  rassure et réconforte ceux qui chantent, on peut considérer que si les organisations terroristes n’existaient pas, la violence des auteurs d’attentat se serait exercée sur un autre mode. Mais lequel ? Y aurait t-il eu moins de victimes ? Il est bien sûr impossible de répondre à cette question.

    En attendant, nous pleurons nos enfants, enfants du monde ; et des enfants supplémentaires vont grandir sans parents.

    Michelle Colmard Drouault

     

    Notes :

    *1 : La marine  italienne vient de sauver 2500 personnes en Méditerranée, qui dérivaient sur des embarcations de fortune (19/7/16, source Le Monde)

     

    *2 Minority Report : film de science fiction de Spielberg : en 2054, la société a éliminé le meurtre grâce à un système de prévention/répression sophistiqué : trois extralucides analysent en permanence les idées de violence meurtrière des individus…

     

    *3 AFD Alliance des Femmes pour la Démocratie

     

    *4 L’assassin de Ms Joe Cox était sympathisant d’un mouvement néo-nazi, la Nouvelle Alliance…

     

    * 5 Dounia Bouzar : Centre de Prévention contre les Dérives sectaires liées à l’Islam

     

     * 6 Gilles Kepel, politologue, professeur à l’institut d’Etudes Politiques (Sciences PO)

     

    Spécialiste de l’Islam.


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