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« CONTRE LA VIE ». LA VIE DE QUI ?
Lors d’une conférence de presse donnée dans l’avion qui le ramenait d’un voyage en Asie du Sud, le pape François a renvoyé dos à dos Donald Trump et Kamala Harris comme étant tous deux « contre la vie ».
La vie de qui ?
S’il est évident que M. Trump a envers les migrants un discours offensif et méprisant, qui les déshumanise (nous n’oublierons pas les Haïtiens qui mangent les chats !) et fait en effet peu de cas de leur vie, il semble que le souverain pontife ait mal écouté Mme Harris, avec qui il partage un certain nombre de points de vue.
Il fait naturellement référence à l’avortement, cheval de bataille insensé du catholicisme, basé non sur des preuves médicales ou scientifiques , qu’il s’agisse de biologie ou de sciences humaines, mais sur une idéologie patriarcale inspirée par des laïcs ultra-conservateurs voici deux siècles. Il est à noter que la religion catholique est la seule, l’unique confession à ne concéder aucune exception à l’interdiction de l’avortement. Pourtant protestant, M. Trump semble épouser cette cause…
Ecoutons Kamala Harris : elle rappelle que 20 états US ont signé une telle interdiction absolue, CE QUI SIGNIFIE QUE une jeune fille ou une fillette victime de viol ou d’inceste, qui sont des crimes, des crimes commis sur son corps, ne peut décider de ce qu’elle veut faire de ce corps. Et que c’est profondément immoral.
De son côté, François a déclaré, au sujet des abus sexuels dans l’Eglise : « l’abus sexuel des enfants, des mineurs, est un crime, c’est une honte ». Et il a poursuivi , s’agissant de l’Abbé Pierre : « l’abus, à mes yeux, est chose démoniaque. Tout type d’abus détruit la dignité de la personne. Tout type d’abus cherche à détruire ce que nous sommes tous : l’image de Dieu ».
Très bien.
Les voilà tous deux d’accord que les femmes les filles les enfants, subissent des crimes abominables qui les détruisent.
Mais à partir de là, que se passe-t-il ? Où est la divergence ?
Un pape avec de telles convictions peut-il défendre l’idée qu’une jeune fille violée, peut être de surcroît par un père ou un beau-père, doive endurer en plus l’intense souffrance physique , mentale , et morale d’avoir à supporter une grossesse ? Rappelons que la constitution physique d’une jeune fille en dessous de 15 ans ne permet souvent pas sans danger grave pour la vie de celle-ci de poursuivre une grossesse: son bassin, son utérus, son organisme, n’ont pas la maturité nécessaire. Ce dont l’agresseur ne s’est pas soucié. Devons nous nous mettre au même niveau que lui ? Doit on risquer de tuer la victime ? est-ce cela la foi chrétienne ?
Quant à la souffrance psychologique engendrée par une telle situation, elle relève de la torture, de traitements inhumains et dégradants tels que proscrits par les Conventions Internationales.
Aussi bien le pape que D. Trump ont recours à la supercherie qui consiste à prétendre que l’avortement "tue des enfants"* alors que la majorité des interventions s’effectuent sur des embryons; mais qui sont ici les enfants qui sont vraiment tuées, dans leur corps et dans leur âme, lorsqu’il y a interdiction dans tous les cas ? Ce sont les jeunes victimes. Tuées deux fois.
Donc être « pour la vie » devait consister en premier à préserver celle des filles et des femmes. Sauf à les déshumaniser, et à estimer que certaines vies valent moins que d’autres, c’est à dire que la vie d’une jeune fille vaut moins que la survie d’un embryon ou d’un fœtus.
A décider(à la place de Dieu) qui doit vivre ou non.
Ce qui est totalement anti-chrétien.
Il y a là, dans les discours de François, une incohérence totale.
Poursuivons avec l’intervention de Kamala Harris : dans ces 20 états, les femmes enceintes ne peuvent accéder aux soins de santé auxquels elles sont droit. Toutes celles qui ont des hémorragies, des fausse-couches, ne peuvent être soignées au prétexte que les soins de santé sont globalement les mêmes qu’il s’agisse d’une fausse couche ou d’un avortement : il faut extraire le fœtus et le contenu de l’utérus. Faisant l’impasse sur le fait que si cela n’est pas pratiqué rapidement en cas de fausse-couche, la patiente risque une septicémie, une infection des trompes, une hémorragie létale, et peut être la mort par hypoxie, les médecins, reniant le serment d’Hippocrate (Primum non nocere ) refusent d’intervenir tant qu’il reste un bruit du cœur du fœtus détectable-y compris lorsque celui-ci est atteint de malformations le rendant non viable en tout état de cause-
Nous sommes ici dans le déni complet de la Science et de la simple humanité, au profit d’une idéologie. Ces lois n’ont pas été basées sur des données médicales. Mais les médecins et infirmiers sont terrifiés, ils risquent jusqu’à 99 ans de prison si leurs soins sont assimilés à une interruption de grossesse illégale…
Plusieurs américaines ayant survécu à de telles épreuves ont attaqué l’Etat en justice, et témoigné. Au Texas, 13 plaignantes ont expliqué que malgré de graves complications de leur grossesse (des grossesses désirées) mettant leur vie en danger, l’avortement leur avait été refusé, et qu’elles avaient du faire un long trajet pour être soignées valablement dans un autre état. Délai qui a entraîné pour certaines des mutilations ou stérilités définitives.
Ainsi, Amanda ZURAWSKI a perdu les eaux à 18 semaines de terme (4 mois et demi). Le médecin a refusé l’expulsion du fœtus, qu’il considérait comme un avortement illégal. Sans liquide amniotique , un fœtus meurt, mais non sans dommages : 3 jours plus tard, Amanda a fait une septicémie, et perdu une de ses trompes. Elle souffre à présent de stérilité partielle.
Samantha CASIANO a vu déceler à l’échographie une encéphalite grave du fœtus qui le rendait non viable. Là aussi, elle s’est vu refuser de mettre un terme à la grossesse. Le bébé est décédé quelques heures après l’accouchement, causant aux parents une intense souffrance morale.
Kamala Harris précise que des couples enthousiastes à l’idée de fonder une famille, mais confrontés à des difficultés, n’ont pas droit aux soins adéquats dans les états cités (et leur fertilité n’est pas préservée). C’est effectivement absurde.
Légalement, l’unique exception à l’interdiction de l’avortement est le danger pour la vie de la mère. Mais la loi n’est pas respectée faute de critères médicaux précis sur cette notion de danger. Repréciser des critères, a dit un sénateur conservateur "équivaudrait à permettre des IVG à des femmes ayant simplement des maux de tête ou une dépression".
Une telle ignorance abyssale de ce qu’est une grossesse, ajoutée à un mépris des femmes non dissimulé, laisse pantois.
C’est bien la santé et la vie des femmes qui sont méprisés.
De tels règlements sadiques ne peuvent venir que de personnes qui haïssent les femmes.
Ils répondent à la définition des traitements dégradants (la privation de soins même en cas de menace de mort) constituant la torture, établis par toutes les instances des Droits Humains.
En ce moment dans les prisons de certains pays, les détenus politiques sont privés de soins médicaux alors qu’ils sont en danger, et cela soulève une indignation unanime…
On ne peut donc renvoyer dos à dos une personnalité politique qui veut faire respecter ces droits humains indispensables à la survie de la société et la dignité des citoyennes ; et une autre qui veut priver plusieurs catégories de population de ces mêmes droits humains.
Par ailleurs, de telles interdictions ne viennent pas de Dieu. Elles ne peuvent venir du Dieu plein de bonté qui s’est si souvent montré, dans son incarnation humaine, si rempli de pitié et de compassion pour ses frères et sœurs.
On ne peut que penser une fois de plus à ceux qui « chargent les autres de fardeaux qu’ils ne veulent pas eux mêmes toucher du doigt » que le Christ a interpellés….
Le martyre obligatoire, oui, mais pour les autres ?
Michelle DROUAULT
*D. Trump, au cours de ce débat avec la candidate démocrate, a proféré le mensonge énorme des « bébés qu’on exécute » après la naissance dans certains états. Il s’est fait rappeler à l’ordre par la journaliste arbitre de la bonne tenue du débat : aucun état américain n’autorise de telles pratiques meurtrières. Aucun. Dont acte.
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Commentaires
‘’LA VIE DE QUI ?’’
Enfin, le réquisitoire qu’on attendait tant de lire. Le réquisitoire qui, d’abord, trace la seule vraie frontière authentiquement éthique : celle où se dénonce la supercherie qui voudrait que ce soit être « contre la vie » que de refuser « qu’une jeune fille violée, peut être de surcroît par un père ou un beau-père, doive endurer en plus l’intense souffrance physique, mentale, et morale d’avoir à supporter une grossesse ».
Un acte d’accusation qui dit tout, point par point, et exemples les plus probants à l’appui, de l’absurdité, de l’ignorance abyssale « de la Science et de la simple humanité » et du « mépris des femmes » qui façonnent depuis des siècles la prohibition confessionnelle ou légale de l’avortement. Oui, tous les chefs d’accusation sont bien là et dûment argumentés : « cheval de bataille insensé du catholicisme », « idéologie patriarcale », « règlements sadiques ne (pouvant) venir que de personnes qui haïssent les femmes », « traitements dégradants (la privation de soins même en cas de menace de mort) constituant la torture, établis par toutes les instances des Droits Humains ».
Avec pour les croyants, cette réfutation particulièrement ciblée des interdictions de l’avortement qui visent « les femmes, les filles, les enfants, (qui) subissent des crimes abominables qui les détruisent », et qui part d’un constat de l’ordre de l’irréfragable : « une jeune fille ou une fillette victime de viol ou d’inceste, qui sont des crimes, des crimes commis sur son corps, ne peut décider de ce qu’elle veut faire de ce corps. Et (..) c’est profondément immoral ». Ciblée en ce qu’elle renvoie au plus constitutif de la foi chrétienne et de ses sources – et on reste sidéré de ce que ce rappel soit nécessaire : « de telles interdictions (…) ne peuvent venir du Dieu plein de bonté qui s’est (…) montré, dans son incarnation humaine, si rempli de pitié et de compassion pour ses frères et sœurs».
Qu’à la question : « … mais qui sont ici les enfants qui sont vraiment tuées, dans leur corps et dans leur âme, lorsqu’il y a interdiction (de l’avortement) ? », soit apportée la réponse de l’intelligence et de la solidarité humaine : « Ce sont les jeunes victimes. Tuées deux fois », est aussi une contribution de portée générale à l’éclairement complet de la problématique sociétale du viol et de ses conséquences. Et précisément au moment où, chez nous, le procès des viols de Mazan fait pleinement entrer le sujet de viol et des violences sexistes et sexuelles dans l’espace public – et l’expose sans doute avec une puissance d’effroi et de honte jamais envisageable auparavant. La convergence et la concordance des indignations, surtout quand celles-ci étreignent les cœurs et les âmes, a toujours de quoi remplir d’espoir.