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ENFANTS PRISONNIERS, ENFANTS OUBLIÉS ?
Deux cent à trois cent enfants français de « djihadistes » présumés sont actuellement toujours retenus dans des camps de rétention en Irak ou au Kurdistan irakien.
Les conditions de vie y sont extrêmement dures au point de vue sanitaire, et ils ne peuvent y recevoir aucune éducation.
Leur retour aurait été préparé par le gouvernement français, puis annulé au dernier moment pour des raisons qu’il est impossible de connaître.Selon certains média, l’hostilité de l’opinion publique au rapatriement de ces enfants-dont une majorité a moins de 6 ans - serait à l’origine de ce volte-face de dernier instant ?
Un revirement dont les conséquences se mesurent à l’aide des trois exemples qui suivent :
Récemment , la chaine France 5 a diffusé un reportage exceptionnel de deux journalistes
(Sophie Parmentier et Helène Liam Hung) sur le sort de ces enfants, et la réalité de leur situation et de celle de leurs familles.
Deux couples de grand parents y sont interviewés :
Suzanne et Marc : en 2015, leurs enfants, un jeune couple accompagné de leurs deux fils de 5 ans 1/2 et 1 an, rejoignent Daesh en Syrie après des vacances en Italie.
En 2017, réalisant qu’ils ont fait une erreur, ils parviennent à s’échapper. Mais ils sont faits prisonniers par les Kurdes.
Le père (fils de Suzanne et Marc) est transféré en Irak pour y être jugé. Nous apprendrons qu’il a été condamné à mort. Leur belle-fille est internée avec les enfants au camp de Roj.
C’est une région où il peut faire 50° l’été et O° l’hiver. On y loge sous des tentes sans aucun confort. L’ainé des enfants, Amid, souffre beaucoup de ne plus aller à l’école ; le second est souvent malade. Cette situation dure depuis deux ans et demi.
Les grand parents ont demandé avec insistance le rapatriement des enfants, sans succès.
L’expédition annulée de 2018, dont ils devaient faire partie, les a désespérés.
Ils ont alors décidé de partir les voir en Irak, apportant vêtements chauds et médicaments.
Suzanne et Marc n’ont pu voir leurs petits enfants que dix minutes à peine à travers un grillage, pour des raisons incompréhensibles , puisque les familles d’autres nationalités ont été autorisées à pénétrer dans le camp.
Depuis, ils continuent à se battre sans relâche pour que la France n’oublie pas Amid et son petit frère. Enfants français, ils jouissent pourtant des mêmes droits que les autres. L’école est dorénavant obligatoire en France à partir de 3 ans, mais pas pour eux…
Lydie et Patrice sont en deuil. Leur fille Julie est morte en Syrie avec son nouveau-né après avoir accouché seule dans un camp avec l’aide d’une voisine, laissant 3 autres orphelins.
Le père est en prison en Irak.
Après un combat de chaque jour pour le rapatriement de leurs trois petits enfants, les grands parents ont enfin obtenu gain de cause : ils ont atterri sur le sol français. Après une nécessaire période d’observation et de soins à l’hôpital, les enfants ont été placés en famille d’accueil, et n’ont pu faire la connaissance de Lydie et Patrice qu’au bout de sept longs mois.
Pendant cette période, les grands parents ont du subir tests et entretiens. Tests ADN pour déterminer leur légitimité, entretiens poussés, qu’ils ont visiblement vécus comme douloureux et assez intrusifs : ils ont du évoquer l’enfance et l’éducation de leur fille décédée…
A présent, les enfants vont bien, et fréquentent l’école. Ils demeurent cependant en famille d’accueil. (heureusement la fratrie n’a pas été séparée) Leurs grand parents les voient les week- ends, mais n’en ont toujours pas la garde, qu’ils ont demandée par voie judiciaire.
Ils espèrent…
Enfin, Gladys, rapatriée avec ses deux fils, en a été séparée immédiatement pour être incarcérée tandis qu’ils étaient placés dans deux familles d’accueil différentes, malgré la présence de grands parents.
Libérée sous contrôle judiciaire, elle attend son procès, et a été autorisée progressivement à revoir ses enfants lors de visites encadrées, puis à les héberger un week-end sur deux et la moitié des congés scolaires. Mais elle court le risque d’être incarcérée à nouveau à l’issue du procès. Gladys était partie à 19 ans rejoindre en Syrie un mari rencontré et épousé sur internet.
Elle dit se rendre compte de son erreur et espère qu’on tiendra compte de sa volonté de réinsertion.
Ces récits tragiques posent un certain nombre d’interrogations.
Le reportage s’intitule à juste titre « les enfants du soupçon ». De quoi en effet a-t-on peur ?
Peut on supposer sérieusement que des enfants de six mois à six ans aient pu être endoctrinés ? Traumatisés par la guerre dans laquelle ils sont nés, pour la plus part, oui !
Les psychologues qui les suivent confirment que certains sursautent encore au moindre bruit.
Ils confirment également qu’au milieu de ce chaos, leur seule figure d’attachement solide a été leur mère. Néanmoins, même lorsque celle-ci est libre, on les prive d’elle au quotidien, retardant sans doute leur possibilité de se reconstruire. Lorsqu’il y a des grands parents, ce n’est qu’au bout de plusieurs mois qu’ils peuvent rencontrer ces personnes aimantes qui pourraient les soutenir, alors qu’ils sont en situation d’orphelins. Pourquoi ?
La suspicion semble porter , au delà de toute raison, autant sur de jeunes enfants innocents que sur des grand parents désemparés devant les choix ou l’embrigadement de leurs enfants.
La vision de ce reportage laisse l’impression poignante que les pouvoirs publics croient les enfants « contaminés » par quelque chose, et les grands parents vaguement coupables d’avoir mal élevés leurs enfants ou d’avoir été complices de leur départ.
La dimension d’embrigadement sectaire de personnes très jeunes (qui auraient été encore mineures voici 40 ans) ne pourrait elle être envisagée avec plus de discernement ?
Un point crucial demeure : les mères qui ont eu trois à quatre enfants en quelques années ont elles pu être des combattantes ? quel a été leur rôle exactement ? Dans son ouvrage « Le jihadisme français, quartiers, Syrie, prisons »* Hugo Micheron explique après enquête que l’idéologie de Daesh repose sur le contrôle des femmes, regroupées dans des appartements à l’écart des combats et vouées à la procréation. Leur activisme est proscrit. Et même puni… Mais ce confinement même les aurait empêchées de réaliser l’horreur des actes commis par leurs époux (et rendues plus résistantes à une « déradicalisation » mentale ?)
Toutes ces questions sont très difficiles. Mais méritent d’être posées. Au grand jour. Ainsi l’ « opinion publique » pourrait avoir une vision claire du problème, et non des fantasmes..
Il n’est en tout cas pas acceptables que des enfants majoritairement d’âge maternel et citoyens français, demeurent au risque de leur santé et de leur vie dans des camps d’internement.
Avons nous donc perdu la mémoire ?
La situation de ces enfants correspond aux critères de signalement d’enfants en danger : leur santé, leur éducation, leur moralité sont gravement compromis si ils restent en rétention.
Plusieurs pédopsychiatres de renom (Rufo, Hefez) ont plaidé publiquement pour leur retour, réfutant une méfiance qu’ils jugent absurde, et le qualificatif de « bombes à retardement » Si leur cerveau est si malléable, disent-ils, il l’est aussi dans l’autre sens et il sera aisé de leur montrer d’autres valeurs, surtout si elles s’accompagnent d’un mode de vie sécurisant.
Ces enfants ne peuvent devenir des « bombes à retardement » que s’ils ont en grandissant, eux, un autre soupçon : que la France, leur pays , les a abandonnés…
Michelle. C. DROUAULT
* Editions Gallimard, parution récente
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Commentaires
2Jean-ClaudeLundi 13 Avril 2020 à 19:40Etonnant, ne le voyez-vous pas, que ce blog en soit resté au 1er février...
Il y a tant de choses qui sont arrivés depuis...
Comment pensez-vous peser sur la construction de l'avenir ?
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Il est toujours difficile de dire qu'en tel lieu souffle l'Esprit, puisque aussi bien, c'est toujours à l'Esprit et à lui seul qu'il appartient d'en décider.
En revanche, chaque femme et chaque homme qui veut tendre vers le bien et le juste, identifie à coup sûr les lieux où se tiennent, inexpugnables, ce Bien et ce Juste. Sous toutes les formes possibles où ils peuvent s'exprimer : la vérité, la solidarité, la conscience (et d'abord sous sa forme la plus élevée - l'objection qu'elle soulève).
Ceci est vrai, dans toutes les différences de registre, du village cévenol qui a caché et abrité des enfants juifs à celles et ceux qui dénoncèrent la torture en Algérie.
Et de notre blogue "FÉMINISTES ET CROYANTES, OUI" - avec la certitude qu'on tire de cette lecture d'aujourd'hui.